Les rêves qui nous restent, de Boris Quercia
Après La légende de Santiago, fin de la trilogie consacrée à Santiago Quiñones, le policier autoproclamé « exemple du flic raté » mais aussi pour le moins opiniâtre, on se demandait bien ce qu’allait pouvoir nous réserver Boris Quercia.
Surprise : c’est un roman de science-fiction. Moins surprenant, on y trouve Natalio, un flic raté dans une société – la City – vendue aux multinationales… un flic raté mais animé par quelques principes qui ont à voir avec la justice et qui se trouve être lui aussi particulièrement entêté. Chargé de traquer les opposants et éventuellement de les éliminer, Natalio est comme tout humain qui se respecte accompagné d’un électroquant, c’est-à-dire un robot d’apparence humaine qui fait office d’assistant. Celui de Natalio, bien entendu, est plutôt bas de gamme, un objet de récupération un peu trafiqué. C’est avec ce compagnon, qu’après avoir été mis à pied, il va effectuer une mission privée. En effet, la société Rêves Différents a un problème. Comme toutes les grandes compagnies qui travaillent sur la génétique humaine, elle a besoin de cobayes. Pour cela elle propose à des volontaires d’intégrer ses usines à rêves. Ceux qui, dans la City, ont abandonné tout espoir et tout rêve pour devenir de simples exécutants de tâches subalternes sont le cœur de cible de ce genre d’entreprise : pendant qu’ils rêvent, leur corps est à disposition de Rêves Différents.
« Dans la vie, rien n’est gratuit, tout a un prix. Mais si le prix, c’est juste de connecter ton corps à leurs machines à rêves pour qu’ils puissent cultiver leur ADN, pourquoi ne pas essayer, ne serait-ce qu’un an ou deux ? Après tout, pendant ce temps-là, tu vas pouvoir vivre ce que jamais tu n’aurais pu vivre dans ta vie de merde. »
Mais pour cultiver de l’ADN, il faut des patients sains. Et il semblerait que des gens vendent des places à des refusés, sabotant ainsi le travail de l’entreprise. Certainement un coup des syndicats… C’est sur cela que Natalio va devoir enquêter tandis que son électroquant adopte un comportement de plus en plus étrange.
Variation sur un thème assez courant de la science-fiction – on pense bien entendu à Philip K. Dick et à son Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques – Les rêves qui nous manqurestent pourrait souffrir de la comparaison avec d’autres œuvres. Mais si l’on a bien appris une chose avec Boris Quercia, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer sa capacité à digérer les codes d’un genre pour en faire quelque chose d’original. La patte de Quercia est bien là, portée d’ailleurs plus par le roman noir que par la science-fiction. Il s’agit de montrer un monde corrompu et à la dérive dans lequel un homme – et un robot – comme un chien dans un jeu de quilles, va participer à bousculer l’ordre précaire de la société. Comme Santiago Quiñones, Natalio n’est pas un redresseur de torts. Il n’est ni un militant, ni un opposant, mais il est sensible à l’injustice et, surtout et malgré les apparences, doté d’un amour propre qui le rend instable pour ceux qui voudraient le manipuler. Incapable de se résoudre à courber l’échine, il est d’autant plus dangereux que s’il éprouve une réelle empathie vis-à-vis de son électroquant, celui-ci semble aussi commencer à se poser des questions sur sa propre condition.
L’œuvre de Boris Quercia est toujours marqué par une forme de pessimisme ou à tout le moins de désabusement et ce nouveau roman ne fait pas exception. Mais il on y trouve aussi une certaine foi en l’homme, en celui qui, à un moment, et quelles que soient ses raisons, décide de se lever et vient gripper la machine. Ou dans la machine qui va venir gripper les rouages d’une société qui se déshumanise. En tout cas, c’est une fois encore de l’excellente littérature.
Boris Quercia, Les rêves qui nous restent, Asphalte, 2021. Traduit par Isabel Siklodi et Gilles Marie. 196 p.
Du même auteur sur ce blog : Les rues de Santiago ; Tant de chiens ; La Légende de Santiago ;