Cool, de Don Winslow
Après le succès, doublé d’une adaptation cinématographique réalisée par Oliver Stone, de Savages, paru en France en 2011, Don Winslow reprend les mêmes personnages et recommence. Certes, la fin de Savages laissait peu de place à une suite éventuelle. Et, donc, Winslow de nous livrer non pas une suite mais ce que, selon un néologisme barbare tiré du mot anglais prequel, on appelle désormais un préquelle, c’est-à-dire un épisode prenant place avant la première aventure.
Pour le lecteur, cela ressemble à s’y méprendre à un coup marketing. Le premier roman mettant en scène le trio de jeunes californiens lancés dans le business du cannabis haut-de-gamme a été un succès ? Réutilisons-les !
C’est dire si l’on a pris ce livre avec des pincettes. Parce que ce n’est pas parce qu’on a aimé Savages (même si, avec le recul, il est indéniable qu’il avait un côté tape-à-l’œil qui dissimulait ses défauts) que l’on va aveuglément apprécier ce nouvel opus, surtout après la déception qu’a été il y a seulement quelques mois la sortie d’un autre roman de Winslow, L’heure des gentlemen.
Et donc ? Donc, le premier constat est que l’aspect clinquant de Savages est encore là : une écriture hachée faite de retours à la ligne, de phrases coupées ou d’intermèdes étymologiques qui donne un rythme si particulier au livre mais apparaît parfois un peu vaine, la surprise que nous avait réservé Savages une fois passée :
« C’est soit/soit
Il n’y a pas de juste milieu et il en a
Toujours été ainsi ».
Fort heureusement, ce genre de sortie reste limité et, une fois passées les premières pages et la valse des acronymes utilisés par le trio pour désigner tout et n’importe quoi censée créer une sorte de collusion avec le lecteur, on se laisse finalement assez vite attraper.
C’est que Winslow est aussi un excellent conteur et sait créer chez son lecteur l’attente de la suite. Les plus de 300 chapitres du roman (sur moins de 400 pages) se succèdent à un rythme effréné et s’achèvent quasiment tous sur un suspense plus ou moins important amenant le lecteur à toujours repousser le moment de poser le livre pour vaquer à d’autres occupations.
Le dispositif se révèle d’autant plus réussi que Don Winslow arrive à maintenir ce rythme tout en donnant à son roman un aspect de saga familiale en multipliant les aller-retour entre 2005 et les tuiles qui s’abattent sur les jeunes entrepreneurs en cannabis de haute qualité aux prises avec un réseau qui voudrait les faire cracher au bassinet, et les années 1960, 1970 et 1980 où une autre génération, celle de leurs parents, faisait son trou dans le business de la drogue.
Certes, les liens entre les deux générations sont assez souvent téléphonés et l’on comprend vite qu’il est question d’hérédité et que le conflit présent va bien entendu avoir un lien avec des histoires de familles. Mais Winslow mène bien sa barque, navigant avec aisance d’une époque à l’autre, jouant l’historien du trafic de drogue en Californie du Sud et l’écrivain d’action qui sait user efficacement des archétypes du genre.
Au final, il en ressort un roman de bonne facture, mené à un tel train d’enfer que l’on en oublie bien vite les menus défauts et scories (y compris dans la traduction d’ailleurs, qui, pour ne citer qu’un ou deux exemples, parle de manche à incendie au lieu de bouche à incendie ou tend à confondre balles et bases au base-ball) pour se laisser entrainer dans une histoire alliant efficacement action et humour noir. Une lecture agréable.
Don Winslow, Cool (Kings of Cool, 2012), Le Seuil, 2012. Traduit par Freddy Michalski.
Du même auteur sur ce blog : La patrouille de l'aube ; Savages ; La griffe du chien ; Satori ; L'heure des gentlemen ; Dernier verre à Manhattan ; Cartel ; Corruption ; La Frontière ; entretien.