La Frontière, de Don Winslow
Troisième et a priori ultime volume consacré par Don Winslow à la question du narcotrafic entre Mexique et États-Unis et à la « guerre contre la drogue », La Frontière ne dépareille pas vraiment des deux précédents romans de cette trilogie, La griffe du chien et Cartel. Tout aussi imposant, il reprend l’histoire là où Winslow l’avait laissée, en 2014, lorsque la disparition d’Adán Barrera, chef du cartel de Sinaloa et double romanesque de Joaquín « El Chapo » Guzmán, rebat les cartes du narcotrafic mexicain et entraîne une terrible guerre de succession.
Devenu patron de la DEA sous l’administration Obama, Art Keller, conscient de l’échec de sa propre stratégie axée sur l’élimination des chefs de cartels, cherche une nouvelle voie, ce qui lui permet de mettre à jour les collusions des narcotrafiquants non seulement avec la finance mondiale, mais aussi avec un certain nombre d’hommes politiques américains, à commencer par Dennison, promoteur arrogant et cynique dans lequel il est difficile de ne pas reconnaître Donald Trump.
S’il décortique cette mécanique en s’appuyant sur des informations déjà connues pour qui s’intéresse au sujet – à commencer par la manière dont, après la crise de 2008 les liquidités des cartels ont permis de renflouer en partie les banques américaines – Winslow, comme toujours, remonte toute la chaîne du trafic. S’il s’intéresse donc aux conflits internes des héritiers de Barrera et de ses acolytes, ce qui donne lieu à des scènes particulièrement violentes, où à ceux, plus feutré au sein de l’administration qui lui permettent de jouer à la fois la carte du roman politique voire d’espionnage et du classique mais bien mené, jeu de l’infiltration policière, il n’oublie pas pour autant de regarder ce qui se passe au bas de l’échelle. Ce sont ici les parcours dramatiques de Jacqui, la junkie et, surtout, de Nico qui, à dix ans, quitte seul la décharge de Guatemala City dans laquelle il survit pour traverser l’Amérique centrale lors d’une odyssée dantesque pour rejoindre des États-Unis qui ne veulent pas de lui.
Ce faisant, comme dans les deux précédents volumes, Don Winslow cherche à offrir le tableau le plus complet possible, dans toute sa complexité et donc ses impasses et ses contradictions. Et si l’auteur n’est toujours pas un grand styliste, il fait une nouvelle fois preuve d’une réelle efficacité dans la construction de son roman, ne laissant aucun temps mort. On pourra certainement regretter quelques facilités comme l’arrivée assez peu crédible de Keller à la tête de la DEA ou une fin dont on présume que Winslow, fervent opposant à Donald Trump, a voulu transformer en exutoire, mais il n’en demeure pas moins que l’ensemble reste impressionnant et saisissant.
Don Winslow, La Frontière (The Border, 2019), Harper Collins Noir, 2019. Traduit par Jean Esch. 846 p.
Du même auteur sur ce blog : La griffe du chien ; La patrouille de l’aube ; Savages ; Satori ; L’heure des gentlemen ; Cool ; Dernier verre à Manhattan ; Corruption ; Cartel ;