Corruption, de Don Winslow
Denny Malone est flic dans le district de Manhattan North. Pas vraiment un flic comme les autres mais une sorte de superflic. S’il n’est que sergent, cela ne l’empêche d’être le vrai leader d’une unité de lutte contre les gangs surnommée La Force et qui opère donc essentiellement dans les cités de Harlem. En dix-huit ans de service, Malone a peu à peu dévié, mis des dealers et des macs à l’amende, détourné un peu de fric à son profit, frayer parfois avec les gangsters pour en faire tomber d’autres. Autant d’incartades sur lesquelles la hiérarchie ferme pudiquement les yeux du moment que Malone et ses hommes font leur boulot. Et puis un soir, lors d’une descente chez un dealer, l’unité de Malone perd un homme et fait un gros coup : la plus grosse saisie d’héroïne de l’histoire de la police de New York. Sauf qu’une partie de la drogue est détournée par le groupe de policiers soucieux d’assurer leurs vieux jours.
Mais c’est sans compter sur le FBI, déterminé à faire tomber les chefs de la police et qui entend se servir de Malone pour ça. Dès lors, le superflic va être forcé de collaborer, de dévoiler le système de corruption à l’œuvre et de dénoncer ses collègues, devenant à cette occasion une cible autant pour les gangsters que pour les policiers.
On ne cachera pas ici que l’on a abordé ce roman de Don Winslow avec une certaine réserve.
D’abord parce que Winslow est capable du meilleur comme du plutôt moyen.
Ensuite parce que l’éditeur mettait en avant deux blurbs de James Ellroy (« Totalement inoubliable ») et de Stephen King (« Un triomphe. Pensez au Parrain, mais avec des flics »). Lorsque l’on sait avec quelle facilité les deux auteurs distribuent ce genre de louanges – particulièrement Ellroy qui affirme par ailleurs régulièrement ne jamais lire de romans – on est en droit de se montrer dubitatif. Sans compter une quatrième de couverture qui convoque Scorsese, De Palma et James Gray ainsi que Dennis Lehane (qui ne semble plus vraiment écrire que pour le cinéma) et peut légitimement nous faire nous demander si on aura droit à un roman où à un livre torché avec l’idée première d’en faire un scénario.
La vérité, c’est que l’on pense surtout à The Shield. Denny Malone semble être un double du personnage de Vic McKay, lui aussi écartelé entre sa volonté de lutter contre le crime et la tentation des arrangements avec la loi de la possibilité d’arrondir facilement ses fins de mois. L’un et l’autre, mettent les doigts dans un engrenage qui va les happer, les digérer et certainement les recracher dans un sale état.
Si donc, le sujet de Winslow ne brille pas forcément par son originalité, il n’est pas pour autant dénué de qualités. Corruption est un roman intense, bien mené, dans lequel Winslow en faisant le choix d’adopter un point de vue interne pour sa narration tout en utilisant la troisième personne entraîne le lecteur au cœur du dilemme qui accable Malone. Il crée ainsi une vraie empathie tout en dévoilant les agissements de Malone et de ses collègues. Partagé entre une certaine compréhension des actes accomplis par le « héros », le lecteur est donc aussi amené à se poser la question de leur légitimité et de la manière dont, en fin de compte ils deviennent de moins en moins justifiables.
L’autre grand intérêt du roman de Winslow est que, derrière l’histoire de ces flics, il réussit à mettre en lumières les réseaux complexes de corruption, la manière dont s’emmêlent les fils tirés par les flics, les malfrats, la mairie, le bureau du procureur ou le FBI, chacun trouvant ses propres intérêts dans un rapprochement plus ou moins important avec une ou plusieurs parties adversaires dans le but d’en faire tomber une autre. Et, au milieu de tout ça, il semble bien souvent que, dans ce système dévoyé, le grand gagnant est avant tout le criminel qui a su nouer la meilleure alliance.
On pourra certainement regretter parfois le ton un peu emphatique d’un Denny Malone très absorbé par l’auto-apitoiement et une fin qui s’avère, spectaculaire, certes (et taillée pour le cinéma), mais inutilement complexe et peu crédible. Pour autant, c’est indéniable, si l’on n’est pas au niveau de La griffe du chien ou de Cartel, Don Winslow propose avec Corruption un polar de bonne tenue qui mérite d’être découvert.
Don Winslow, Corruption (The Force, 2017), Harper Collins Noir, 2018. Traduit parJean Esch. 584 p.
Du même auteur sur ce blog : La griffe du chien ; La patrouille de l’aube ; Savages ; Satori ; L’heure des gentlemen ; Cool ; Dernier verre à Manhattan ; Cartel ; La Frontière ;