Satori, de Don Winslow
Nicholaï Hel, héros du Shibumi de Trevanian, est donc de retour, quelques années après la mort de son créateur, sous la plume de Don Winslow.
Pour ceux qui auraient raté l’épisode précédent, Nicholaï Hel est l’enfant d’une aristocrate russe exilée à Shangaï après l’arrivée au pouvoir des bolcheviks. Assez tôt orphelin, Hel a été en grande partie élevé par un officier japonais qui l’a par ailleurs initié au jeu de go (auquel la lecture de Shibumi comme de Satori ne vous initieront en rien). Emprisonné par les Américains à la fin de la guerre, Hel va devenir un redoutable tueur agissant pour divers services secrets. Shibumi mettait en scène la traque de Hel par un agent américain dans les années 1970 alors qu’il vivait reclus dans un château au Pays basque. Trevanian en profitait pour conter l’enfance et l’initiation de Hel. Il laissait toutefois planer une zone d’ombre sur la vie de Hel au sortir de la Seconde guerre mondiale et au début des années 1950 même s’il évoquait en passant une mystérieuse mission suicide exécutée en Chine.
C’est cette mission qui sert de trame au roman de Don Winslow qui reprend donc le personnage de Hel avec la bénédiction des héritiers de Trevanian. Libéré par les services secrets américains à la condition de mettre ses talents d’assassin à leur service le temps d’exécuter à Pékin un agent russe qui a par ailleurs contribué dans les années 1920 à la ruine de sa mère, le jeune Nicholaï Hel va devoir éviter les multiples chausse-trappes que divers groupes aux intérêts divergents vont poser sur son chemin. Sous la fausse identité que lui a fabriquée la CIA, celle d’un marchand d’arme français, Hel, entraîné à la dégustation du pastis, du coq au vin et des plaisirs de l’amour à la française par une ravissante montpelliéraine, va aussi profiter de sa mission pour assouvir plusieurs vengeances.
La reprise d’un personnage par un nouvel auteur apparaît souvent comme un exercice un peu vain et passe avant tout comme une opération commerciale. Satori n’échappe sans doute pas à la règle et il y a fort à parier que si les héritiers de Trevanian ont voulu ou accepté (cela dépend des versions) que Winslow s’approprie le personnage de Hel, ce n’est pas uniquement par amour de l’art.
Don Winslow a réussi de manière convaincante à fondre son style dans celui de Trevanian sans le caricaturer, du moins jusqu’à une postface bourrée d’humour qui pastiche avec talent celles de Trevanian. Les puristes adeptes de Trevanian (mais je doute qu’ils soient très nombreux) y trouveront sans doute à redire, ce sera peut-être une porte d’entrée vers l’auteur pour ceux qui ne le connaissaient pas encore. De fait, si l’on retrouve sous la plume de Winslow le cynisme vis-à-vis de la politique menée par les États-Unis et le mode de vie américain, on reste bien loin de la misanthropie extrême de Trevanian. Ce qui n’est sans doute pas plus mal tant ce trait qui dominait dans Shibumi ou La sanction pouvait parfois s’avérer lassant. Par ailleurs, Winslow sait maintenir le rythme de son histoire et préserver en même temps quelques moments d’introspection à Nicholaï Hel, ce que Trevanian ne réussissait pas forcément, Shibumi souffrant alors de quelques longueurs qui faisaient parfois retomber un peu le soufflé.
En fin de compte, l’exercice apparaît plutôt comme une réussite. S’il met peut-être un peu de temps à démarrer, le roman trouve ensuite son rythme et comporte son lot de moments de bravoure. Sans en faire un chef-d’œuvre, Don Winslow nous livre une aventure exotique prenante, agréable à lire, une sorte de Trevanian allégé mais sans doute aussi plus accessible. Un bon moment de lecture.
Don Winslow, Satori, JC Lattès, 2011. Traduit par Richard Cunningham.
Des mêmes auteurs sur ce blog : La griffe du chien, La patrouille de l’aube, Savages, L'heure des gentlemen ; Cool ; Dernier verre à Manhattan ; Corruption ; La Frontière ; (Don Winslow) ; Shibumi, Incident à Twenty-Mile (Trevanian).