L’attaque du Calcutta-Darjeeling, d’Abir Mukherjee
Avril 1919. La Première Guerre mondiale achevée, le capitaine Wyndham, que plus rien ne rattache à l’Écosse dont il est originaire ni à Scotland Yard, où il a exercé avant d’être mobilisé, a rejoint les forces de police de Calcutta. En guise de cadeau de bienvenue, il hérite d’une affaire de meurtre très sensible. Un haut fonctionnaire britannique a été poignardé dans la rue devant un bordel. Les indices laissent supposer qu’il s’agit d’un meurtre politique perpétré par un groupe indépendantiste. Assisté d’un adjoint amer d’avoir vu le poste que Wyndham occupe lui échapper et du sergent Banerjee, un Indien, le capitaine va devoir apprendre à connaître Calcutta, ses pièges, ses beautés et aussi les lignes de partage parfois floues qui entourent les relations entre colons et indigènes.
Avec ce premier roman policier historique, Abir Mukherjee, écossais d’origine indienne, ne fait a priori pas dans l’originalité puisqu’il reprend des motifs très classiques : un policier doué mais hanté par ses démons, un duo dépareillé, une enquête faite de fausses pistes et de chausse-trappes. Cela fonctionne néanmoins parfaitement et pour plusieurs raisons.
D’abord, tout simplement, parce que le cadre dans lequel Mukherjee inscrit son roman est original pour ne pas dire inédit et qu’il lui donne véritablement vie. Ses descriptions de Calcutta y plongent littéralement le lecteur et la période abordée, qui voit s’accentuer les revendications indépendantistes des Indiens et les colons se crisper de plus en plus au point de mener à des explosions de violence, se révèle passionnante.
Ensuite parce que, malgré les stéréotypes employés pour les construire, Abir Mukherjee sait rendre ses personnages attachants. Certainement parce que, au-delà de ces stéréotypes il réussit à les présenter avec toutes leurs contradictions, leurs hésitations.
Enfin, parce que tout cela n’est pas dénué d’humour, même si ce n’est pas là le premier intérêt du roman. Mais certains dialogues et descriptions jouent du décalage entre les cultures, s’amusent de la raideur anglaise (la pension de famille est ici un lieu formidable) confrontée au chaos apparent de l’Inde, rient d’un racisme institué qui finit par relever du ridicule :
« Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire Bengal Club, Fondé en 1827. À côté d’elle un panneau de bois annonce en lettres blanches :
ENTRÉE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS
Banerjee remarque ma désapprobation.
« Ne vous inquiétez pas, monsieur, dit-il. Nous savons où est notre place. En outre, les Britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n’a pas atteintes en plus de quatre mille ans.
-Absolument », renchérit Digby.
Je demande des exemples.
Banerjee a un mince sourire. « Eh bien, nous n’avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens. »
Bref, on ne peut que conseiller la lecture de ce premier roman d’une série annoncée qui allie avec réussite enquête classique, humour et surtout cadre historique et géographique parfaitement posé. C’est passionnant et instructif.
Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling (A Rising Man, 2016), Liana Levi, 2019. Traduit par Fanchita Gonzalez Batlle. 398 p.
Du même auteur sur ce blog : Les princes de Sambalpur ; Avec la permission de Gandhi ; Le soleil rouge de l'Assam ; Les ombres de Bombay ;