À tombeau ouvert, de Raúl Argemí

Publié le par Yan

Dans les années 1970, Juan Hiram Gutiérrez et ses camarades, membres d’un groupe armé en lutte contre la dictature, ont déposé pour servir la cause une somme importante dans une banque suisse. Poursuivis par les escadrons de la mort de la Triple A, l’Alliance anticommuniste argentine, ceux qui n’ont pas été arrêtés, retournés ou exécutés, se sont enfoncés plus profondément dans la clandestinité ou ont fui. Gutiérrez a rejoint l’Espagne en 1975 où il est devenu Carles Ripoll, conseiller politique occulte et cynique au service d’une clientèle qui ne l’est pas moins et auteur d’un livre à succès, L’art d’être un Gros Pourri et de réussir en politique. En 2012, alors qu’il vit à Barcelone, il reçoit sur Facebook deux messages anonymes. Il a été reconnu et on le défie de revenir à Buenos Aires. Fatigué de se cacher, tiraillé par la honte d’avoir fui, attiré par l’argent qui dort dans la banque suisse et aiguillonné par ce message qui sous-entend qu’il ne serait pas le dernier survivant du groupe, il décide de retourner en Argentine pour solder ses comptes.

Cela faisait longtemps que l’on attendait un nouveau roman de Raúl Argemí après le déstabilisant Ton avant-dernier nom de guerre traduit en 2013 aux éditions Rivages. À tombeau ouvert, à sa manière, et en particulier à cause d’incessants aller-retour entre les différentes époques de la vie de Gutiérrez/Ripoll, peut aussi être parfois déstabilisant ou, à tout le moins, labyrinthique. Surtout, il est d’une profonde noirceur. Juan Hiram Gutiérrez n’a rien d’un héros et il le sait. Ce qui le porte avant tout est une colère, intense, à l’égard de ceux pour qui il travaille, à l’égard de ceux qui l’ont poussé à l’exil et enfin et peut-être surtout à l’égard de lui-même qui ne s’est jamais pardonné cet exil qu’il considère comme une trahison à la cause qu’il défendait. Dès lors son parcours professionnel comme sa vie amoureuse chaotique apparaissent comme des manières de continuer à se punir et son retour en Argentine comme un moyen de se racheter ou de payer enfin pour les fautes qu’il a commises.

Particulièrement sombre, donc, À tombeau ouvert porte aussi en lui une véritable mélancolie et une profonde colère qui touchent d’autant plus que l’on ne peut éviter, lorsque l’on connaît un peu le parcours de Raúl Argemí, d’imaginer que sa propre histoire et ses propres sentiments se mêlent à ceux de son personnage. Si l’humour que l’on connaît chez l’auteur argentin n’est pas totalement absent et si son ironie touche souvent juste, on est bien là face au roman le plus noir et désespéré d’Argemí et peut-être aussi le plus émouvant.

Raúl Argemí, À tombeau ouvert (A tumba abierta, 2015), Rivages/Noir, 2019. Traduit par Alexandra Carrasco. 333 p.

Du même auteur sur ce blog : Les morts perdent toujours leurs chaussures ; Patagonia tchou-tchou ; Ton avant-dernier nom de guerre ;

Publié dans Noir latino-américain

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J
Je viens de le finir il y a quelques jours, j'ai encore cette petite trace de mélancolie qui me poursuit.Les auteurs latino américains ont vraiment cette faculté de mêler avec fluidité intimité et considerations collectives .Ceci est surement du au fait que l'auteur a bien connu cette période .
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