Gris-Oakland, d’Eric Miles Williamson
La résurrection cette année de la mythique collection de Gallimard, La Noire, sous l’impulsion de Marie-Caroline Aubert et Stéfanie Delestré a été l’occasion de revenir sur des titres plus anciens.
C’est le cas, donc avec Gris-Oakland, d’Eric Miles Williamson, paru en France en 2003.
Issu lui-même de la classe ouvrière comme il l’explique dans diverses interviews (ici sur l’excellent site L’Accoudoir, et là sur le tout aussi excellent Blog du Polar), Eric Miles Williamson met en scène dès ce premier roman son double littéraire, T-Bird Murphy, que l’on retrouvera quelques années plus tard dans Bienvenue à Oakland. Ce sont les années d’enfance, jusqu’à l’entrée dans l’âge adulte de T-Bird, que conte l’auteur. Une mère folle à liée ([…] elle me surprit en train de manger un sandwich au beurre de cacahuète entre deux repas et, pour bien montrer à ses amis qu’elle savait me mater, elle posa ma main sur la planche à repasser et me la repassa en disant : "Tu y repenseras la prochaine fois que tu mettras ta main là où elle n’a pas être"), partageant sa maison avec un gang de Hell’s Angels dans un des pires quartiers d’Oakland, sorte de poubelle de l’Amérique, fait plus ou moins l’éducation de T-Bird quand elle ne part pas pour une longue virée en le laissant livré à lui-même. Finalement récupéré par son père, garagiste et trompettiste, T-Bird va pouvoir découvrir plus avant deux éléments qui ont toujours rythmé sa vie : la musique et la violence.
Succession de scènes saisissantes (la plupart sont initialement parues sous forme de nouvelles avant la publication du roman), d’âpres réflexions sur la classe ouvrière et, plus généralement sur la société américaine vue d’en bas, Gris-Oakland est un roman extrêmement violent et chargé d’une grande colère. Il n’y a pas, dans cette société, dit en substance Williamson, de solidarité, pas même de solidarité de classe. Les personnages qu’il met en scène, à commencer par T-Bird, sont, y compris quand ils paraissent se fondre dans un groupe, isolés et ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Il y a bien entendu des tensions raciales. T-Bird explique la difficulté d’être blanc et donc souffre-douleur des noirs et chicanos de son quartier, montre comment il ne s’intègre jamais tout à fait dans le groupe de musique mexicain qu’il rejoint un moment. Mais la compétition est constante, y compris au sein de chacun des groupes. Ce qui compte, c’est d’avancer, y compris en piétinant les autres, et mêmes ses amis.
Et pourtant, difficile de ne pas voir dans Gris-Oakland une forme de cri d’amour d’Eric Miles Williamson pour les siens, les cols bleus et les marginaux. Cela passe par l’ironie parfois – car il y a aussi beaucoup d’humour dans ce roman – par une manière pudique souvent de dire ce que les uns ou les autres ont pu lui apporter. C’est ce qui fait de Gris-Oakland, tout comme pour Bienvenue à Oakland, malgré une traduction qui semble parfois faible, un roman social à la fois beau et cruel.
Eric Miles Williamson, Gris-Oakland (East Bay Grease, 1999), Gallimard, La Noire, 2003. Traduit par Philippe Mikriammos. 305 p.
Du même auteur sur ce blog : Bienvenue à Oakland ;