Haine pour haine, d’Evan Dolan
Retour à Peterborough, petite ville anglaise en proie à des tensions entre communautés. L’inspecteur Zigic et le sergent Ferreira, découverts dans le très bon Les chemins de la haine, se trouvent cette fois confrontés à deux enquêtes.
D’une part une voiture qui, à un arrêt de bus, a foncé dans un groupe d’immigrés d’Europe de l’Est. D’autre part des immigrés d’origine africaine ou pakistanaise tués à coup de pieds par un ou des néonazis. En pleine période électorale et au moment où l’English Patriot Party essaie de se racheter une image plus lisse, cela n’arrange personne. Ni la direction de la police qui, malgré le peu de moyens qu’elle accorde à sa section d’enquête sur les crimes de haine, ne veut pas se faire épingler par les médias. Ni Richard Shotton, le député d’extrême-droite, qui ne voudrait pas qu’un lien soit fait entre ces actes et son parti.
Comme dans son précédent roman, Eva Dolan excelle ici dans sa manière de rendre vivante la ville qu’elle met en scène et de montrer les différents mouvements qui l’agitent. C’est toute une géographie, et même une géopolitique, qui se révèle. À Zigic, malgré l’impétueuse Ferreira, de jouer de diplomatie entre ces différents mondes qui se heurtent et/ou se fondent les uns dans les autres. Tout ce sous-texte politique, qu’Evan Dolan réussit avec brio à ne pas exposer de manière aride ou par trop démonstrative, fait incontestablement la richesse de ce roman en montrant combien les intérêts des uns et des autres peuvent s’affronter ou cohabiter selon les alliances du moment et combien aussi peuvent jouer les réflexes de défense des différentes communautés dans un pays d’immigration. Ici en particulier, elle réussit à montrer comment, face à l’afflux de travailleurs d’Europe de l’Est, la communauté indo-pakistanaise arrivée bien avant peut adopter une position défensive au point parfois pour certains de ses membres de se laisser tenter par un discours patriote d’extrême-droite pour peu qu’il soit un peu lissé, poli, et tourné vers le rejet des nouveaux arrivants. Bref, Eva Dolan n’abandonne rien à la simplification hâtive et montre un monde complexe, avec ses contradictions, ses salauds et ses bons qui, selon les circonstances, peuvent parfois être les mêmes.
Et tout cela, elle le fait vivre d’autant plus intensément qu’elle le place dans le cadre d’une intrigue policière qui, pour être relativement classique – bien que parfois retorse avec un usage plaisant des fausses pistes ou faux indices abandonnés ici ou là – est fort bien menée et toujours très tendue. En y ajoutant des personnages auxquels on s’attache autant par la grâce de leurs qualités que de leurs défauts, elle réussit un parfait amalgame qui rend, une fois encore, son roman passionnant.
Polar réussi, chronique vivante d’une Angleterre pré-Brexit divisée, sapée par la crise économique et les tensions identitaires, Haine pour haine (dont, par charité, on ne dissertera pas une fois encore sur le titre) est un roman noir qui mérite amplement le détour.
Eva Dolan, Haine pour haine (Tell No tales, 2015), Liana Levi, 2018. Traduit par Lise Garond. 424 p.
Du même auteur sur ce blog : Les chemins de la haine ;