Lord Gwynplaine, de Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal
Erwan Le Dantec, pilote d’avion pour une compagnie habituée à faire transiter des cargaisons entre la France et l’Afrique et à travailler avec les « services », coule une vie plutôt agréable à Toulouse avec son père dans le quartier Saint-Sernin où, dans la communauté catalane, il pense s’être trouvé une seconde famille. C’est d’ailleurs là qu’il a rencontré la belle Olivia avec laquelle, en ce début d’année 1993, il célèbre ses fiançailles. Arrêté arbitrairement ce soir-là, il est sans autre forme de procès envoyé pourrir dans un cul de basse-fosse dans la jungle guyanaise. Durant les quinze ans qu’il passe au secret, il se lie avec un autre prisonnier, l’abbé Vargas, qui l’aide à supporter la captivité et à organiser son évasion. Plus encore : Vargas prétend posséder en Colombie un trésor caché. Erwan Le Dantec prépare donc minutieusement son évasion, son retour et surtout sa vengeance. Sa liberté retrouvée, il deviendra le mystérieux Lord Gwynplaine.
On aura reconnu – ou pas, ce n’est pas bien grave – sous les traits d’Erwan Le Dantec, le tout aussi malchanceux et rancunier Edmond Dantès, Le Comte de Monte-Cristo, dont Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal proposent ici non pas un pastiche, mais bien une réécriture du roman d’Alexandre Dumas qui replace l’action entre la fin du XXème et le début du XXIème siècle. L’exercice, certainement amusant pour les deux auteurs, était aussi assez périlleux. Mais cela fonctionne finalement très bien. Preuve certainement de la qualité de l’histoire de Dumas, mais aussi et surtout de la pertinence jamais démenti de sa critique du culte de l’argent-roi et de la corruption de certaines élites. Il faut aussi dire que Pouy et Raynal, s’ils sont partis comme ils l’expliquent dans cette interview au site pastichesdumas.com du texte original pour le réécrire chapitre par chapitre, ont aussi un peu coupé dedans, histoire de rendre l’ensemble un peu plus fluide ou, à tout le moins, plus rythmé.
L’ensemble donne une impression assez étrange : on lit un récit ancré dans notre époque mais dont certains traits sont presque anachroniques et notamment cette question des mariages arrangés et forcés dans la haute société avec les auteurs ont dû faire pour respecter leur contrainte initiale. De même, comme dans Dumas, on évitera de trop se focaliser sur les incohérences du récit ou les trop heureux hasards qui le ponctuent. Ceci fait, il faut bien le dire, c’est avec un plaisir presque enfantin que l’on se laisse entraîner dans cette folle aventure et que l’on se repaît des plans machiavéliques de Gwynplaine et des portraits au vitriol de tous ces méchants décidément très méchants. Une véritable friandise.
Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, Lord Gwynplaine, Albin Michel, 2018. 570 p.