Les chemins de la haine, d’Eva Dolan

Publié le par Yan

Ne nous voilons pas la face : Evan Dolan, avec son premier roman, part en France avec un certain handicap. Son titre. Long Way Home, titre original et assez subtil, est devenu à la traduction Les chemins de la haine, qui évoque moins un roman noir social qu’un thriller bas de gamme, au risque de créer un malentendu. Les amateurs de grand frisson à peu de frais seront déçus et ceux qui cherchent un roman noir intelligent pourraient passer à côté. Ce serait dommage – surtout dans le cas des seconds.

Car, en effet, le roman d’Eva Dolan mérite que l’on s’y attarde et se révèle aussi fin sur le fond que sur la forme sans jamais sacrifier à un indéniable talent pour accrocher le lecteur.

Tout commence avec la découverte d’un corps calciné dans l’abri de jardin d’une famille anglaise de la petite ville de Peterborough, au nord-est de Londres. Le cadavre est, d’après les premières constations, celui d’un travailleur estonien et il aurait été cadenassé dans la cabane pour y être brûlé vif. L’inspecteur Zigic et son adjointe, le sergent Ferreira sont chargés de l’enquête et leurs soupçons ont tôt fait de se tourner vers les propriétaires de l’abri de jardin, les Barlow. Dans une ville d’immigration qui reçoit des vagues de travailleurs de l’est embauchés par des entreprises de construction ou des exploitations agricoles de la campagne environnante, les mouvements xénophobes progressent et les Barlow, qui voient leur abri de jardin squatté depuis des semaines par la victime semblent y connaître un peu de monde. Peu à peu, l’enquête de Zigic et Ferreira leur fait aussi mieux entrevoir la manière dont vivent les travailleurs étrangers à Peterborough : au mieux l’exploitation par des patrons qui tirent les coûts vers le bas et les marchands de sommeils, au pire la prostitution et l’esclavage pur et simple.

À travers ce qui pourrait n’être qu’un roman de procédure de plus, Evan Dolan dévoile ainsi les faces peu reluisantes de l’économie libérale britannique et leurs conséquences. Les personnages de Zigic, né ici mais d’origine serbe et de Ferreira, portugaise arrivée en Angleterre pendant son enfance, jouent en grande partie ce rôle de révélateur, partagés qu’ils sont entre l’empathie à l’égard des travailleurs étrangers, un mépris non dissimulé à l’égard de ceux qui les exploitent où essaient de leur faire endosser la responsabilité de la situation économique du pays et, parce qu’ils sont eux-mêmes bien intégrés à la société, une certaine incompréhension face à la manière dont ces travailleurs semblent courber l’échine devant ceux qui les exploitent.

Ainsi, au fur et à mesure qu’avance l’enquête, le propos social se fait-il plus prégnant sans que pour autant Evan Dolan se montre moralisatrice ou inutilement démonstrative. C’est subtilement, à travers les actes de ses personnages, qu’elle brosse le portrait sans fard des communautés immigrés tentant de se faire une place au soleil, des travailleurs exploités qui essaient de gagner assez pour pouvoir repartir, des Anglais déclassés qui cherchent des responsables à la crise qu’ils subissent, et de la manière dont les institutions ferment les yeux sur ce qui se passe devant elles afin de ne pas perturber un équilibre précaire que la mort de Jaan Stepulov dans l’abri de jardin des Barlow vient faire vaciller.

Assez bien mené pour susciter au moins autant, sinon plus, la réflexion du lecteur plutôt que l’émotion brute, Les chemins de la haine (enfin, Long Way Home) est un roman qui allie l’intelligence du propos à l’efficacité de l’intrigue. Une lecture enrichissante.

Eva Dolan, Les chemins de la haine (Long Way Home, 2014), Liana Levi, 2018. Traduit par Lise Garond. 445 p.

Du même auteur sur ce blog : Haine pour haine ;

Publié dans Noir britannique

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