Héros secondaires, de S. G. Browne

Publié le par Yan

Lloyd Prescott, la trentaine, se cherche encore. Sans boulot régulier ni vraiment envie d’en trouver un, il fait la manche à Central Park et, surtout, se vend comme cobaye aux laboratoires pharmaceutiques dont les produits arrivent à la phase de test sur les humains. Non seulement ça peut rapporter un peu d’argent, mais en plus, à force de courir les essais de traitements médicaux, Lloyd a fini par se faire une petite bande d’amis, eux aussi cobayes réguliers.

Les choses ne vont pas basculer soudainement mais, peu à peu, Lloyd et ses condisciples vont s’apercevoir que des choses clochent. Une agression dans le métro durant laquelle un des agresseurs s’effondre victime d’une terrible crise d’urticaire, un skateur malpoli qui, après que Lloyd a éprouvé une irrépressible envie de bailler, s’endort soudainement… Il faut rapidement se rendre à l’évidence : les essais pharmaceutiques peuvent avoir des effets secondaires, et le fait d’être doté de pouvoirs extraordinaires, certes, mais un peu nazes – donner de l’eczéma, endormir, faire vomir, provoquer une érection involontaire – en fait partie. Et la question se pose alors pour le groupe d’amis : que faire ? Faut-il former une sorte de nouvelle ligue Marvel à la petite semaine ? D’autant plus qu’il semblerait que d’autres, moins sympas, aient aussi acquis certains pouvoirs et en profitent pour semer le trouble à New York.

On pense bien entendu, en abordant ce roman de S. G. Browne, aux Mystery Men (et on en profite au passage pour vous conseiller d’éviter l’adaptation cinématographique) et à toute une clique de parodie de comics ou de films de super héros. Et, de fait, Browne s’en sort plutôt bien dans cet exercice. Moins d’ailleurs grâce aux actions de ses héros au rabais que par leurs dilemmes divers qui donnent droit à des dialogues particulièrement marrants. Mais tout cela est surtout l’argument de départ, l’emballage du tout, et un bien bel emballage d’ailleurs.

Car sous cela, le propos de Browne se fait plus grinçant. Il y a bien entendu une charge violente contre l’industrie pharmaceutique :

« Les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont les seules nations industrialisées au monde qui autorisent les groupes pharmaceutiques à faire la publicité de leurs médicaments auprès des consommateurs. Tous les autres pays occidentaux ont interdit cette pratique. Et tandis que ces entreprises ont le droit de vanter les mérites de substances susceptibles de provoquer des insuffisances cardiaques, des pertes de mémoire, et d’augmenter le risque de décès, les fabricants de compléments alimentaires naturels osant déclarer que leurs produits aident à prévenir telle ou telle maladie ou ont telle ou telle vertu curative s’exposent à des amendes conséquentes, voire à une incarcération potentielle. »

S. G. Browne a potassé le sujet et arrive à le rendre à la fois angoissant et hilarant.

Il y a aussi, à travers la vie des losers qu’il met en scène, un discours à propos de la manière dont il est facile de glisser. Si Lloyd est avant tout un produit de cette génération qui peine à trouver sa place, à sortir de l’adolescence, ses amis, eux sont représentatifs de ces personnes qu’un événement, un accident – divorce, frais de santé alors que l’on n’est pas assuré – poussent à la marge de la société.

Pour tout cela, Héros secondaires, sous l’ironie, parfois mordante, parfois tendre, est aussi et avant tout un roman social – et pas des plus optimistes. Et s’il n’est pas dénué de menus défauts, en particulier une fin avec laquelle l’auteur semble avoir un peu de mal à se débrouiller, ce nouveau roman de S. G. Browne mérite amplement que l’on s’y arrête. Pour rire un moment mais aussi pour penser un peu.

S. G. Browne, Héros secondaires (Less Than Hero, 2015), Agullo éditions, 2017. Traduit par Morgane Saysana. 347 p.  

Du même auteur sur ce blog : Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour ; Heureux veinard ; Le jour où les zombies ont dévoré le Père Noël ;

Publié dans SF-Fantastique

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