Heureux veinard, de S. G. Browne
Nick Monday est détective privé mais aussi « braconneur » de chance. C’est-à-dire que, comme quelques heureux élus, il a la capacité de voler la chance des autres pour la revendre. Un don a priori avantageux mais qui, comme toute médaille, a son revers ainsi qu’il peut le constater ce jour-là. Cela commence par une sublime jeune femme se présentant comme la fille du maire de San Francisco et demandant à Monday de retrouver la personne qui dérobé la chance de son père… sauf que, comme de bien entendu, le coupable est le détective. Puis cela continue avec le chef de la Mafia chinoise du coin, accro à la chance, qui exige que Monday se mette à son service. Mais c’est sans compter sur le FBI qui voudrait que Monday fourgue plutôt de la malchance au parrain asiate afin de pouvoir enfin lui mettre le grappin dessus.
L’idée de départ de S. G. Browne est donc, on le voit, particulièrement loufoque et prometteuse. Jouer avec les codes du polar mettant en scène un détective – femmes fatales, cynisme, répliques bien envoyées et tabassages en règle du héros – en y instillant un élément fantastique peut en effet se révéler amusant. De fait, ça l’est parfois, en particulier lorsque, comme avec les zombies dans Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère... et retrouvé l’amour, l’auteur s’attache à révéler combien la condition surnaturelle du héros peut poser des problèmes très terre à terre. Ainsi en va-t-il du peu ragoutant recyclage de la chance ou des problèmes posés par les poignées de mains involontaires. De même, les débuts de chapitres consacrés aux faits divers révélant d’énormes coups de bol sont particulièrement réjouissants.
Mais là où le bât blesse, c’est qu’une bonne idée de départ ne fait pas forcément un bon roman. Pour cela il faut encore une intrigue qui tienne la route et des personnages bien construits. Réduite à un prétexte minimal, l’intrigue se révèle vite accessoire et Browne l’étire au maximum de manière échevelée pour pouvoir y placer ses bonnes idées. Cela donne à son roman un rythme syncopé fait de quelques rires ou sourires face à certaines scènes et d’un certain ennui entre ces moments réjouissants. Et les personnages, en dehors de Monday, fantomatiques faire-valoir sans épaisseur, ne servent finalement eux-aussi qu’à permettre à l’auteur d’étirer son intrigue.
Cela donne au final un roman loufoque, certes, basé sur une bonne idée de départ et accumulant les scènes de manière effrénée avec un inégal bonheur. S’il prête à rire ou à sourire, Heureux veinard se révèle tout de même décevant sur la longueur et l’on ne peut que regretter qu’avec ce troisième roman (le deuxième n’a pas encore été traduit en France), Browne n’atteigne pas le niveau de maîtrise et d’humour de son excellent premier livre, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère... et retrouvé l’amour.
S. G. Browne, Heureux veinard (Lucky Bastard, 2012), Gallimard, Série Noire, 2013. Traduit par Christophe Mercier.
Du même auteur sur ce blog : Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère... et retrouvé l’amour ; Héros secondaires ;