Buenos Aires Noir
Ça faisait bien un an qu’Asphalte n’avait pas publié un de ses recueils de ville noire et c’est donc peu dire que ce Buenos Aires Noir était attendu. Dans ces cas-là, bien souvent, soit l’attente est déçue, soit on se régale. En fait, ici, on se trouve quelque part entre les deux.
Histoire de finir sur une note positive, commençons par ce qui pèche un peu dans ce recueil de nouvelles. Une partie de ces histoires est finalement d’une grande banalité et ne donne pas forcément à découvrir la ville. On pense notamment à « Orange, c’est joli comme couleur », de Verónica Abdala, qui se déroule dans un appartement et voit une femme se venger de la relation extra-conjugale de de son époux ou même, dans une moindre mesure, à « L’homme qui se tait », d’Inés Fernández Moreno. Buenos Aires, Paris, Los Angeles ou Pékin, on pourrait en fin de compte être n’importe où.
Du côté des satisfactions, il y a d’abord le fait que le recueil, dans une belle parité, accueille autant d’auteurs féminins que masculins et que les générations se mêlent. Ensuite, il y a la possibilité de voir se former en filigrane derrière une partie de ces histoires un portrait acide de la société argentine en général et portègne en particulier : fossé entre les classes sociales, marasme économique, prédation des plus riches à l’égard de plus faibles (« Amour éternel », d’Ernesto Mallo, qui dirige le recueil, en particulier), tensions raciales et tentations xénophobes (« Onzième étage », de Gabriela Cabezón Camára), violence faite aux femmes, perte de confiance en la politique et, omniprésente, corruption de la police ainsi que le rappelle avec humour Ariel Magnus dans « Le sens du devoir » :
« Dans ce pays, le fait de remplir scrupuleusement ses obligations était une façon paradoxale de faire grève ».
Au total, tout bien pesé, la satisfaction l’emporte sur la déception. On se réjouit de retrouver Leandro Ávalos Blacha (« Bienvenue, Lieutenant »), on est charmé par Pablo de Santis (« Un visage dans la foule »), on se laisse embarquer par Elsa Osorio (Trois pièces avec patio »), et María Inés Krimer, avec un texte faussement simple (« Ça brûle »), crée une tension redoutable. S’il n’est certainement pas le meilleur volume de la collection, Buenos Aires Noir reste donc tout à fait recommandable.
Buenos Aires Noir, Asphalte, 2016. Traduit par Olivier Hamilton et Hélène Serrano. 207 p.
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