Dandy, de Richard Krawiec
Petit voleur et combinard à la ramasse du genre à ne savoir réellement mentir qu’à une seule personne, lui-même, Artie rencontre Jolene au Wrangler Club, boîte
miteuse dans laquelle la jeune femme, pour gagner quelques dollars, à accepté de combattre dans un match de catch féminin dans une fosse remplie de gelée. La vie n’a pas plus gâté Jolene qu’Artie, et elle lui a aussi donné un fils qu’elle aime, Dandy, deux ans, incapable de tenir debout et bientôt aveugle. La rencontre de ces deux êtres fracassés va peut-être être l’occasion de voir naître une histoire d’amour, ou tout simplement celle de faire un bout de chemin ensemble pour tenter de sortir de l’ornière.
Quelques plans pourris, des mensonges à la pelle – auxquels personne ne croit –, un bébé qui vit dans son carton et est nourri exclusivement de beurre de cacahuète et de biberons de Pepsi… et la vie dont on rêve qui ne cesse de nous échapper, voilà autour de quoi tourne Dandy, roman noir vibrant de tendresse et d’humanité mais dans lequel l’auteur se refuse à mentir et à faire croire que la tragédie que constituent à bien des égards les vies de Jolene, Dandy et Artie est évitable.
Et pourtant, c’est évident, Richard Krawiec les aime, ses personnages, tels qu’ils sont, malmenés, brisés et parfois même d’une rare bêtise, mais toujours convaincus qu’il est possible de s’en tirer. Au moins un peu. On souffre bien sûr avec Jolene, traînant Artie comme un boulet :
« -C'était pas du vol. C'était juste des cambriolages. Ils avaient plus de trucs que moi. Je redistribuais de manière juste." Elle ne parut pas convaincue, et il lui dit la seule chose à laquelle il put penser. "C'était un travail en extérieur, Jolene. Les mecs aiment pas rester enfermés, tu sais? Pas comme les femmes. Les mecs ont besoin de soleil, tu sais. Pareil que les légumes. »
Mais au milieu d’une vie dont elle n’arrive pas à s’échapper, glissant sans cesse comme dans cette fosse de Jell-O dans laquelle elle doit s’humilier, Artie au moins, et malgré tous ses défauts, est là.
On lit Dandy avec une drôle de sensation, partagé entre l’affliction face à ce que les personnages de Krawiec subissent et se font subir, empathie pour ces humains qui ont au moins pour eux de ne pas lâcher leurs rêves ni leur envie d’aimer, et même, sourire face aux situations dans lesquelles les mensonges d’Artie l’enferment et aux dialogues de sourds qui s’instaurent parfois.
« -Ça peut compliquer les choses, dit Joey
La mère d’Artie lui fit signe de la boucler. « Allez, c’est un genre de truc mère-fils, ok ? » Elle regarda Artie et tira lentement sur sa cigarette. « Qu’est-ce que t’as fait ? »
-C’est une longue histoire.
-Mon feuilleton commence dans cinq minutes. J’ai pas le temps pour une longue histoire.
-De toute façon j’avais pas envie de te la raconter.
-Tant mieux, parce que j’ai pas envie de l’entendre, dit Joey.
-Je te la raconterai pas à toi.
-Je t’ai déjà dit que j’écouterais pas dit Joey. J’ai dit que j’écouterais pas avant que tu dises que tu la raconteras pas.
-C’est pas vrai, lui dit Artie.
-Oh si.
-Oh non.
-Oh si. »
Tragique, foncièrement noir, violent dans le portrait qu’il fait de la situation d’une Amérique des années Reagan dont on peut penser avec Larry Fondation qui écrit la préface de cette édition française qu’elle n’a fait qu’empirer, Dandy est aussi à sa manière une surprenante et belle histoire, peut-être pas d’amour, mais de quelque chose qui y ressemble pas mal. Un sacré bouquin.
Richard Krawiec, Dandy (Time Sharing, 1986), Éditions Tusitala, 2013. Rééd. Points Roman noir, 2015. Traduit par Charles Recoursé. 240 p.
Du même auteur sur ce blog : Vulnérables ; Paria ; Les Paralysés ; Croire en quoi ? ;