La chambre blanche, de Martyn Waites
Après l’excellent Nés sous les coups, c’est avec une certaine impatience que l’on attendait la parution du deuxième roman de Martyn Waites, La chambre blanche. Et l’on devint plus impatient encore de le lire en prenant connaissance de l’ambition de ce roman. Car il s’agit ni plus ni moins, à travers les destinés de plusieurs personnages issus de toutes les couches de la société, de raconter trente années d’histoire de Newcastle et, partant, trois décennies de celle de l’Angleterre. Entre 1946 et 1974, on s’attache donc aux pas de Jack Smeaton, soldat traumatisé par ce qu’il a vu à la libération de Belsen, de Monica Blacklock, abusée par son père, prostituée, de sa fille Mae, de Brian Mooney, petit truand décidé à prendre le pouvoir dans sa ville, de Ralph Bell, entrepreneur au service des projets utopiques du leader travailliste Dan Smith… Autant de destins qui, à leur niveau, font l’Histoire et/ou la subissent dans une Angleterre qui ne parvient pas à briser le cercle de la misère dans lequel est englué son prolétariat.
Voilà donc pour l’intention. C’est en fait du côté de la réalisation que Martyn Waites pèche.
De fait, après un début très prometteur avec notamment une scène saisissante où Jack Smeaton, tout juste employé dans un abattoir, flanche devant ses collègues, et une autre, glaçante, qui voit Monica Blacklock accompagner son père chez un autre homme, Waites semble se laisser dépasser par son ambition de départ et lâcher peu à peu les motifs intéressants qui apparaissaient au départ.
Ainsi en va-t-il du traumatisme qu’a constitué pour Smeaton la découverte des camps. Évoquée avec violence dès le départ du livre, elle en est finalement absente par la suite à l’exception d’une scène relativement banale. Il en est de même des projets de rénovation urbaine socialiste de Dan Smith qui demeurent toujours en arrière-plan et ne servent en fait qu’à justifier la monter en puissance de Mooney et la chute de Bell. Là encore, d’ailleurs, Martyn Waites laissait présager au départ la mise en place d’une véritable tragédie antique, mais il ne nous sert finalement qu’un banal thriller sans grande originalité – la palme étant attribué à égalité à la révélation scoubidouesque de l’identité de Mooney face à un Bell défait et à la découverte grand-guignolesque de l’antre du très méchant Johnny Bell.
Alors si tout n’est pas à jeter – il y a du rythme, quelques beaux personnages, en particulier féminins comme Monica et Mae Blacklock ou Joanne, et même de bonnes scènes d’action – La chambre blanche se révèle être une déception. Là où l’on pensait trouver une fresque noire politique et sociale à la manière de ce que peuvent faire un David Peace ou même un Giancarlo De Cataldo, on se trouve face à un roman noir efficace, certes, mais plutôt superficiel dans lequel les occasions d’offrir une véritable épaisseur au récit et aux personnages sont sacrifiées à quelques effets de manche. C’est dommage.
Tout le monde n’est pas forcément d’accord avec moi. Pour des avis différents, plus enthousiastes, on peut aller voir du côté de chez Velda et Jean-Marc.
Martyn Waites, La chambre blanche (The White Room, 2004), Rivages/Thriller, 2015. Traduit par Hubert Tézenas. 429 p.
Du même auteur sur ce blog : Né sous les coups ;