Né sous les coups, de Martyn Waites

Publié le par Yan

nésouslescoups« Le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher avait été réélu pour un second mandat par un raz-de-marée apathique. Les gens avaient voté pour elle parce qu’il n’y avait aucune alternative crédible. Avant les élections, il y avait eu des mouvements de mécontentement contre la façon dont la droite gouvernait. Une diversion se présenta, sous la forme d’un petit conflit dans le sud de l’océan Atlantique, au sujet des îles Malouines, une équipée ultrapatriotique qui permit d’assurer la réélection. Encouragée par ces événements, Thatcher s’était ensuite cherchée une cible intérieure : elle avait trouvé les mineurs. »

Nous sommes en 1984 et, dans la ville minière de Coldwell, près de Newcastle, les destins de Tony, jeune footballeur professionnel issu d’une famille d’ouvriers, de Louise tout juste au sortir de l’adolescence et qui cherche l’amour, de Tommy, la jeune brute qui monte dans la pègre locale, de Mick le mineur syndicaliste, et de Stephen Larkin, journaliste idéaliste, se croisent alors que les mineurs se lancent dans leur ultime combat. Presque vingt ans plus tard, Larkin revient sur les lieux où ses illusions se sont fracassées et croise les mêmes personnes ainsi que d’autres, plus jeunes. De la Coldwell en état de siège à la Coldwell décrépite et moribonde, tout a changé et rien n’a changé. La révolte semble avoir disparu sous les coups de 1984 et la résignation qui a suivi continue de faire son œuvre.

C’est avec un roman social que les éditions Rivages font leur rentrée littéraire. Un roman dur, âpre, qui, par le jeu des allers-retours entre 1984 et 2001, démonte les mécanismes de l’apathie de la classe ouvrière anglaise et de la violence sociale à la lumière de la destruction programmée de ladite classe par le gouvernement Thatcher. Car si les temps sont aux explications simplistes, à commencer par un supposé déterminisme social, pour ne pas dire un atavisme de classe, afin d’expliquer la misère dans laquelle à sombré une grande partie du prolétariat anglais, Martyn Waites propose une vision bien plus nuancée des choses. On n’est bien entendu pas surpris de voir Thatcher montrée du doigt, ce qui est bien la moindre des choses, mais on est toujours étonné de voir comment ce gouvernement a pu se libérer de la contrainte des droits de l’Homme avec l’appui – ou à tout le moins une coupable indifférence – des médias et de la population pour faire plier tous ceux qui se risquaient à lui résister[1].

À travers ses personnages formidablement construits, avec leurs contradictions, leurs idéaux, leurs espoirs, leurs envies, leurs étincelles de courage et leur lâcheté ordinaire, Waites montre habilement plusieurs facettes du prisme de cette population fracassée, dépossédée du travail qui lui offrait, outre un gagne-pain, la fierté et la solidarité, et qui n’a plus à léguer à la génération suivante que renoncement et haine de soi.

De cette construction implacable constamment rythmée par une bande originale caractérisant situations et personnages, il ressort beaucoup de reniements, d’espoirs déçus, mais aussi de révoltes qui peuvent encore ressurgir, de recherches de rédemptions pas forcément vouées à la réussite et peut-être un soupçon d’espoir. Et Martyn Waites de montrer que si l’échec peut advenir, ce n’est pas la révolte le problème mais bien la résignation.

Cela donne un roman noir social poignant et tragique d’une grande maîtrise qui lie avec bonheur les histoires personnelles de personnages joliment incarnés à l’Histoire contemporaine subtilement dépeinte. Engagé et écrit avec talent, Né sous les coups est une bien belle réussite.

Martyn Waites, Né sous les coups (Born under Punches, 2003), Rivages/Thriller, 2013. Traduit par Alexis Nolent.

Du même auteur sur ce blog : La chambre blanche ;

 

[1] Pour un autre aspect de cette négations des droits fondamentaux, on pourra aussi lire avec profit le saisissant On the Brinks de Sam Millar.

Publié dans Noir britannique

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J
Je viens de le commencer, et c'est effectivement très fort dès le démarrage.
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Y
<br /> <br /> Et ça n'est que le début.<br /> <br /> <br /> <br />
D
cool, je l'ai sous la main, j'avais peur d'un david peace bis, perfecto amigo, tu donnes l'envie<br /> portes toi bien
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Y
<br /> <br /> On va dire que c'est plus accessible que Peace au niveau de l'écriture. Et c'est un vraiment bon roman.<br /> <br /> <br /> <br />