Vulnérables, de Richard Krawiec
Une fois de plus les éditions Tusitala se distinguent avec la parution d’un roman noir aussi original que beau.
Original, au sens premier du terme, parce que le roman de Richard Krawiec contant le retour de Billy Pike dans sa ville d’origine après que ses parents ont été cambriolés, écrit à la fin des années quatre-vingts n’a jamais trouvé d’éditeur américain, les services commerciaux des maisons d’éditions se trouvant incapables, ainsi que l’explique Krawiec dans la préface de son roman, d’imaginer qu’un quelconque public puisse avoir envie de lire ce genre de livre. Car, comme le dit un ami de l’auteur : « Je sais que les pauvres existent, mais je n’ai pas envie de les voir dans les livres que je lis ». Ce sont donc les éditions Tusitala qui, après avoir publié Dandy il y a quelques années, ont eu l’occasion, l’envie et – disons-le – l’audace de publier en premier Vulnérables. Qu’elles en soient remerciées.
Beau, parce que, une fois encore, après Dandy, Krawiec choisit de montrer ceux que l’on voit pas, que l’on ne voit plus ou que l’on n’a plus envie de voir, sans misérabilisme, sans pathos inutile et sans essayer de faire croire que d’hypothétiques solutions miraculeuses existeraient pour sortir de l’ornière. S’il met bien en avant la façon dont une société modèle ceux qui qui en font partie – y compris à la marge – il ne nie pas non plus l’importance du libre arbitre et des choix de chacun.
Au centre de Vulnérables, il y a donc Billy Pike, pas loin de quarante ans et une vie de fuite – loin de sa ville, loin de sa famille – de cambriolages, de trafics et d’agressions. Lorsque sa sœur lui demande de revenir pour aider ses parents qui viennent de subir un cambriolage qui les laisse traumatisés, Billy revient, à peu près certain de connaître le coupable et peut-être aussi avec l’espoir de faire reculer les fantômes de son passé et de renouer une relation qui puisse avoir un semblant de normalité avec sa famille. Mais le retour aux sources dans une famille et une ville grises est douloureux.
« Et d’un coup, j’y étais, dans le centre de ma ville natale délabrée, fabriques de chaussures condamnées et vitrine basses aussi incolores du carton. Des gens gris qui marchaient lentement, tête basse en entrant dans les banques, dans les grands magasins, les épiceries devant lesquelles, assis sur des tabourets, des clients en veste de mauvaise toile buvaient du café amer.
[…] Même si tout ça me rendait triste, bizarrement ça m’a réconforté. Ou peut-être parce que ça me rendait triste. »
Cette histoire finalement banale, c’est celle d’une Amérique qui marche sur le fil ténu entre la petite classe moyenne et la pauvreté. Ce sont les parents de Billy, qui alternent boulots alimentaires sans intérêt et périodes de chômage en essayant de s’accrocher à leur petit statut social, à leur maison et leur télévision qui rendent leur vie supportable. Et ce sont Billy et ses semblables, génération qui a grandi seule, justement parce que leurs parents jonglent avec plusieurs emplois pour se maintenir à flots, et qui parfois finissent par basculer un peu plus bas dans l’échelle sociale avec l’impression que la vie n’a rien à leur offrir et qu’ils n’ont rien à lui offrir en retour. C’est aussi, comme le montre une particulièrement étouffante scène de réunion de famille, la déliquescence de la cellule familiale quand la famille ne devient plus que le réceptacle des frustrations d’une vie qui ne cesse de décevoir mais dont on a conscience qu’il suffirait d’un rien pour qu’elle devienne pire encore.
L’errance de Billy dans une ville et une famille qui lui renvoient ses échecs et son incapacité à trouver une place dans le monde n’est pourtant pas une complainte. C’est un parcours initiatique tardif, une manière de confronter le personnage à ses propres échecs, à ses failles, mais aussi l’occasion pour lui d’entrevoir, aussi étroites soient-elles, quelques issues possibles. Et de la violence d’un récit tout en tension, du malaise palpable, émerge la compassion de Krawiec à l’égard de ses semblables, de ceux qui souffrent, qui insuffle à Vulnérables une bouffée d’espoir. Reste à pouvoir la saisir. C’est tout cela qui fait de ce roman un livre âpre, violent et d’une rare beauté.
Richard Krawiec, Vulnérables (At the Mercy), Tusitala, 2017. Traduit par Charles Recoursé. 220 p.
Du même auteur sur ce blog : Dandy ; Paria ; Les Paralysés ; Croire en quoi ? ;