Croire en quoi ? de Richard Krawiec
Un jour de la fin des années 1980, à quelques semaines de Noël, dans un quartier ouvrier de Pittsburgh, la petite Katie, six ans, s’effondre et convulse sous les yeux de sa mère, Pat, et de son père, Timmy.
Quelques années plus tard, la famille habite toujours là mais les choses ont radicalement changé. Katie, depuis son accident cérébral, végète dans un lit dont sa mère l’extrait pour des semblants de séances de rééducation accompagnées de prières avec une équipe de bénévoles. Katie est devenue le centre de la vie de Pat qui se raccroche à l’idée insensée que sa fille retrouvera un jour ses facultés. Timmy, lui, a fait les frais des fermetures d’usines. Son seul horizon semble être le chèque hebdomadaire du chômage qui permet à sa famille de survivre. Quant à Ellen, la petite sœur de Katie, qui vient de rentrer à l’école primaire, elle grandit presque seule. L’affection de sa mère est tournée tout entière vers Katie. Quant à son père, humilié par sa condition, écrasé lui aussi le drame de sa fille aînée et incapable de soulager sa femme qui semble le mépriser, il s’enfonce peu à peu dans la dépression.
Alors en quoi croire dans ses conditions ? Au miracle pour Pat. Qu’il ne faut compter que sur soi, pour Ellen. En rien, pour Timmy. Pourtant, dans le marasme qu’est devenu leur vie, dans cette ville qui tourne le dos aux ouvriers qui l’ont faite, la famille va devoir apprendre à croire en quelque chose si elle ne veut pas exploser.
Comme dans ses précédents romans, Richard Krawiec regarde ceux que l’on ne voit pas. Où que l’on ne veut pas voir, peut-être par crainte que le malheur soit contagieux. Ceux que l’on a peu à peu privé de leur dignité et qui avancent dans ce monde comme des fantômes. Ils vivent pourtant même s’ils n’ont parfois l’impression que de survivre. Et ils relèvent parfois la tête. Les personnages de Richard Krawiec, croqués sans artifices dans toute la noirceur de la lente déchéance qu’entraîne leur déclassement et les coups toujours plus durs de la vie mais aussi dans toute la splendeur des espoirs auxquels ils arrivent à se raccrocher, sont profondément attachants. Il n’y a pourtant aucune sensiblerie, aucun faux optimisme, chez Krawiec, mais un profond sens de ce qu’est l’humanité et de ce qu’elle peut révéler de plus sombre et de plus lumineux fasse à l’adversité. Car il y a sans doute des choses en lesquelles croire : en soi, en la solidarité et peut-être même en l’amour. Cette lueur existe. Elle est ténue, mais Richard Krawiec réussit néanmoins à la faire briller quand bien même elle vacille parfois. C’est dans les marges du faible halo qu’elle procure en faisant reculer l’ombre qu’il place ce roman et lui donne toute sa beauté.
Richard Krawiec, Croire en quoi ? (Faith In What?, 2024), Tusitala, 2024. Traduit par Anatole Pons-Reumaux. 218 p.
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