L’homme noir, de Luca Poldelmengo
Luca Poldelmengo, il nous l’avait montré avec son premier roman, Le salaire de la haine, aime les personnages ambigus à la recherche d’une vie meilleure ou d’une hypothétique rédemption et faire se croiser les trajectoires de personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Les acteurs de la tragédie qui se noue sont ici Fabiana, Filippo, Gabriele et Marco. Gabriele, c’est l’homme de pouvoir, le millionnaire qui tient le monde dans sa main. Les autres ne sont pour lui que des outils qui lui permettent de continuer à dominer son univers finalement assez étroit. La belle, trop belle, Fabiana dirige l’un de ses hôtels. Marco, le frère de Fabiana, issu d’une famille de notables proches du pouvoir et fils d’un chef de la police est devenu flic à son tour, et le piston lui a permis de trouver un poste tranquille dans lequel il monte tranquillement les échelons sans trop se fatiguer :
« Ses rapports avec les collègues étaient bons. Il n’aimait pas casser les couilles aux autres, trop fatigant.
À se mettre si peu en avant, il serait presque passé pour un type sympathique. Les autres ne semblaient pas s’offusquer que sa part de travail leur revienne. D’ailleurs, en Italie, un pistonné dans un emploi public, c’est comme un furoncle après avoir fait la bringue : il faut s’y attendre ; on espère juste qu’il ne surgira pas sur le cul […] »
Et puis, de là où il est, Marco peut rendre quelques services à Gabriele en échange de quelques largesses. À commencer par ces billets d’avions pour partir découvrir l’île de Pâques.
Quant à Filippo, le chauffeur de Gabriele, repris de justice qui tire le diable par la queue et a le sentiment d’avoir presque tout raté dans sa vie, il va apprendre à ses dépends à quel point il n’est que quantité négligeable pour son patron. Au risque que cela réveille l’homme noir qui sommeille en lui et le pousse à agir en dépit du bon sens.
La mort va bien entendu surgir dans ce petit monde et ce sera à Marco d’enquêter sur l’accident qui aura coûté la vie à Fabiana. Un accident qui pourrait tout aussi bien être un meurtre.
De cette trame ultra classique et qui rappelle par bien des côtés son premier roman, Luca Poldelmengo tire un instantané de la société romaine et plus largement italienne gangrénée par la précarité et la corruption. Mais, surtout, il dresse une nouvelle fois de beaux portraits de personnages tiraillés entre ce qu’ils voudraient être et ce qu’ils arrivent seulement à être réellement. Et là encore, si la noirceur semble vouloir l’emporter, quelques lueurs d’espoir, dans l’œil unique d’une petite rom ou dans le cœur d’Anastazia, femme forte et déterminée, viennent délivrer un peu de lumière.
Le tout est servi par un découpage habile du récit qui provient certainement du métier initial de Luca Poldelmengo, scénariste de son état, et L’homme noir apparaît comme un roman efficace et intelligent qui, s’il ne révolutionne pas le genre, a pour lui d’être bien fait et d’avoir quelque chose à dire.
Luca Poldelmengo, L’homme noir (L’uomo nero, 2012), Rivages/Noir, 2015. Traduit par Patrick Vighetti. 255 p.
Du même auteur sur ce blog : Le salaire de la haine ;