Faillir être flingué, de Céline Minard
C’est un peu à reculons que j’ai abordé Faillir être flingué, de Céline Minard. D’abord parce que les auteurs français qui s’attaquent à un genre typiquement américain se plantent souvent et offrent de véritables décors de carton-pâte. Ensuite parce que l’exemplaire en ma possession est un livre audio et que la crainte de ne pas adhérer aux choix du conteur est toujours présente dans ce genre de situation. Enfin, tout simplement, parce que l’engouement unanime qui s’est fait autour de ce roman à sa sortie faisait que j’en attendais beaucoup et, craignais-je, peut-être trop.
Il m’a fallu à peu près deux minutes pour que ces préventions soient levées. Féodor Atkine, la voix de ce livre audio, donne d’emblée une formidable composition qui colle à merveille à la poésie des lignes de Céline Minard. Ainsi se laisse-t-on bien vite embarquer dans les pas de Brad et Jeffrey qui, accompagnés de Josh, le fils de Brad, et d’une petite fille sillonne la Prairie avec leur chariot tiré par une paire de bœufs dans lequel leur vieille mère se meurt. Puis dans ceux d’Eau-qui-court-sur-la-plaine, l’indienne chamane et de Gifford, qu’elle a sauvé et qu’elle initie aux secrets de la Prairie ; dans les pas aussi d’Elie, le voleur de chevaux et de Bird Boisverd le propriétaire en colère d’une monture dérobée, et dans ceux de Zebulon, le cowboy flegmatique qui fuit on ne sait quoi, ou encore d’Arcadia la violoncelliste dépossédée de son archet.
Céline Minard tire cette multitude de fils convergeant vers la petite ville perdue au milieu des Grandes Plaines où Sally tient le saloon et bordel, où Nils élève ses moutons particulièrement velus, ou Silas le barbier espère le client en quête d’un semblant de propreté et où Stan le boucher sert son irish stew douteux. Cette petite ville de tous les possibles dans laquelle chacun va pouvoir chercher à se réaliser, à vivre son rêve, mais où le chemin risque aussi de s’achever brutalement.
Faillir être flingué allie avec bonheur l’écriture de Céline Minard dans laquelle chaque mot est pesé afin d’être à la fois précis et beau et le recyclage des mythes de l’Ouest tels qu’ils nous sont parvenus par le biais de la littérature et du cinéma. Faillir être flingué, c’est un condensé de Danse avec les loups, du Deadwood de Pete Dexter, de western spaghetti (ah ! ce dialogue autour d’une paire de bottes que l’on se dispute !), de Little Big Man et de La horde sauvage. Passées à la moulinette de l’imagination de Céline Minard, ces références, au bout du compte, aboutissent à une sauce qui se lie à merveille pour nous offrir malgré tout une œuvre éminemment originale qui se joue des clichés en jouant avec. C’est beau, émouvant, hilarant, violent et doté d’une véritable force épique. C’est un vrai bon western.
Céline Minard, Faillir être flingué, Rivages, 2013. Rééd. Rivages poche, 2015 et Audiolib 2015.