L’enfer de Church Street, de Jake Hinkson
Avec la réédition du Pike de Benjamin Whitmer et Exécutions à Victory, de S. Craig Zahler, L’enfer de Church Street ouvre la nouvelle collection des éditions Gallmeister, Neo Noir, consacrée plus particulièrement à des romans noirs américains plutôt urbains et dont l’action s’ancre dans le cœur d’une Amérique en crise – économique, morale, sociale – et s’attache à suivre les pas de personnages qui la subissent.
On est donc en plein dedans avec cet Enfer de Church Street qui débute sur une route de l’Oklahoma lorsqu’un repris de justice décide de braquer le client d’une épicerie qui lui réserve quelques surprises et peut-être aussi trois mille dollars :
« J’ouvris le portefeuille. Il était plein à craquer de billets de cent. Je ne les comptai pas, mais il semblait bien y avoir la somme en question. Je regardai à nouveau le gars. Pour une obscure raison, mes mains étaient poisseuses de sueur. Je savais que je pouvais flanquer une sacrée raclée à Geoffrey Webb. Je lui avais déjà mis une belle dérouillée, mais il avait pris la chose comme si ce n’était rien de plus qu’une tracasserie. Il n’avait pas peur de moi, et il n’avait pas peur de mon arme non plus. »
Si l’histoire de Geoffrey Webb pourrait tenir en deux courtes phrases (« L’histoire de ma vie, c’est que j’ai vécu, j’ai merdé, et je vais mourir. Je vais probablement aller en enfer. »), il va néanmoins prendre le temps, durant cinq heures de route en direction de Little Rock, Arkansas, de la raconter en détail à son agresseur. L’histoire d’un garçon ayant vécu une enfance difficile avant de découvrir la religion… pour le pire :
« Il est difficile de savoir aujourd’hui si j’aurais été plus mauvais encore sans l’église, puisqu’elle a joué un rôle essentiel dans la décomposition de ma vie. »
Car ce que Webb a découvert durant son éducation baptiste, c’est que la connaissance de la Bible et le don de la parole conjugués constituent le meilleur moyen de manipuler ses coreligionnaires et d’obtenir, si ce n’est la fortune à tout le moins le pouvoir. Sauf que lorsque l’on manipule des humains, on s’expose, aussi bon soit-on pour anticiper leurs réactions et dresser des plans à l’avance, à ce qu’ils agissent en dépit du bon sens que l’on veut bien leur accorder et même à ce qu’ils soient encore plus vicieux que soi.
Ainsi le plan de Geoffrey Webb finit-il par se retourner contre lui. L’enfer de Church Street, c’est l’histoire de l’arroseur arrosé version massacre à la tronçonneuse dans la paroisse de la Petite maison dans la prairie qui aurait découvert la méthamphétamine, du type qui se débat dans des sables mouvants et s’enfonce un peu plus à chaque mouvement. L’innocence avec laquelle elle est racontée et les justifications a posteriori du narrateur font bien entendu penser au Lou Ford de Jim Thompson. Même si l’on ne peut pas vraiment comparer Hinkson à Big Jim, qui trône au sommet de la littérature noire, L’enfer de Church Street constitue néanmoins un bon roman assez barré (peut-être pas autant que ce que son début le laisse espérer, mais quand même) et résolument noir, une série B qui tient bien la route, une histoire poisseuse et sale.
Jake Hinkson, L’enfer de Church Street (Hell on Church Street, 2012), Gallmeister, Neo Noir, 2015. Traduit par Sophie Aslanides. 236 p.
Du même auteur sur ce blog : L'homme posthume ; Sans lendemain ;