Sans lendemain, de Jake Hinkson

Publié le par Yan

1947. Billie Dixon, employée par un producteur de séries B, sillonne le sud profond des États-Unis pour louer des films dans les cinémas de petits patelins qui n’ont pas les moyens de s’offrir les productions des grands studios. On l’avait prévenu : « Je vais vous dire, là-bas, c’est un autre monde, Billie. C’est là que le Midwest s’arrête et que le Sud commence, et elle est pas jolie, la transition ». Pourtant, la voilà qui fonce vers Stock’s Settlement, patelin des Ozarks, côté Arkansas, pour essayer de fourguer quelques bobines au gérant d’un cinéma décrépit. C’est que le pasteur du coin, homme aveugle mais redouté et volontiers violent, a jeté l’interdit sur le septième art. Billie va essayer de le faire changer d’avis mais, surtout, elle va rencontrer l’épouse de l’homme de Dieu. Amberly est séduisante et ne semble pas indifférente à Billie. À partir du moment où les regards des deux femmes se croisent, Billie met le doigt dans un engrenage qui s’apprête à la broyer.

Un peu échaudé par le précédent roman de Jake Hinkson, c’est avec une certaine d’appréhension que l’on a ouvert ce troisième roman de l’auteur. Les préventions furent cependant vite levées. C’est que le récit – à la première personne – de la longue chute de Billie Dixon est mené avec une assez remarquable subtilité malgré la machinerie imposante et parfaitement huilée qui se met en branle pour la mener à sa perte. Ce faisant, Jake Hinkson porte un regard aiguisé sur la condition féminine dans ce sud profond des années 1940 où le fait de ne pas être un homme relève bien souvent du handicap, si ce n’est de la tare, et devient carrément dangereux si l’on est en plus de cela homosexuelle. Il y a aussi, bien entendu, sorte de fil rouge de l’œuvre d’Hinkson, la question latente de ces fous de Dieu et de leurs adeptes, partagés entre fanatisme et hypocrisie assumée et toujours sûr de leur bon droit à juger les autres. Et enfin, pour faire tenir le tout, une atmosphère un brin malsaine, une galerie de personnages ambivalents et un hommage aux classiques du roman et du film noirs. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de lire la tragique épopée de Billie, la manière dont elle s’enferre peu à peu dans ses actes et ses mensonges, après avoir lu le Détour de Martin M. Goldsmith, paru chez Rivages récemment.

On se retrouve donc là, dans la plus parfaite tradition du noir à l’ancienne et du terrible enchaînement de situation qui pousse le narrateur à creuser sa propre tombe, ligne après ligne. Une lecture jubilatoire.

Jake Hinkson, Sans lendemain (No Tomorrow, 2015), Gallmeister, 2018. Traduit par Sophie Aslanides. 222 p.  

Du même auteur sur ce blog : L’enfer de Church Street ; L’homme posthume ;

Publié dans Noir américain

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C
Excellent article, ce roman a obtenu le grand prix de la littérature policière et j'ai hâte de le lire
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F
Commentaire impeccable - je l'ai lu OK
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