Détour, de Martin M. Goldsmith
C’est une espèce de retour aux fondamentaux que nous réservent les éditions Rivages en ce début 2018 avec l’édition inédite d’un texte de 1939 seulement connu en France jusqu’ici par le biais de son adaptation cinématographique de 1945 (avec toujours Goldsmith au scénario).
Détour, ce sont les histoires parallèles d’Alex Roth et de Sue Harvey. Alex et Sue se sont rencontrés à New York. Il jouait du violon pour un orchestre jazz dans une boîte, elle y officiait dans une troupe de danseuses. Sue est partie seule pour Los Angeles avec l’espoir de faire carrière au cinéma. En attendant, elle est serveuse dans un fast-food. Alex, quelques mois plus tard, a enfin réuni assez d’argent pour la rejoindre à condition de faire le trajet en auto-stop. C’est au Nouveau-Mexique qu’on le découvre, au moment où une voiture luxueuse s’arrête pour le prendre. Haskell, le conducteur, a un portefeuille bien garni et se montre très généreux envers Alex, lui offrant de le mener jusqu’à Los Angeles, et lui payant à manger. Problème : Haskell meurt accidentellement en cours de route. Au milieu du désert avec une voiture, un cadavre et une grosse somme d’argent, Alex doit faire un choix : attendre que quelqu’un passe et signaler la mort de son bon samaritain aux autorités, ou continuer la route plus riche en endossant l’identité du mort.
Farce cruelle sur la manière dont on peut courir après des chimères et accumuler pour cela les mauvais choix qui mènent à l’impasse, Détour est un roman noir de la plus belle eau. Goldsmith y campe une galerie de personnages qui se révèlent tour à tour naïfs, calculateurs et, surtout, dépassés par leurs actes et leurs ambitions. Narrateurs l’un et l’autre de leurs propres histoires, Alex et Sue apparaissent en effet très vite comme deux innocents aux rêves certainement trop gros pour eux. Cette innocence, leurs récits la cultivent, mais l’on voit bien vite poindre en dessous l’ambition et le calcul – bien souvent erroné – qui les portent à faire des choix, à prendre des initiatives qui peuvent autant faciliter leur ascension que précipiter leur chute.
Ces récits croisés révèlent leurs personnalités, le fossé qui ne cesse de se creuser entre eux, et l’ironie de leurs destins respectifs. Il faut dire que Martin Goldsmith se plaît à rebrasser les cartes régulièrement et à enchaîner les péripéties et rebondissements qui mènent peu à peu les personnages – et plus particulièrement Alex – à foncer dans une impasse, poussés pour cela autant par leur naïveté que par leur refus d’abandonner leurs rêves de grandeur. C’est toute la cruauté du rêve américain qui transparaît là : l’audace peut exceptionnellement déboucher sur la réussite, mais la plupart de ceux qui le poursuivent finiront brisés. Un roman à ranger précieusement à côté de ceux de Cain, Brown, Goodis ou Thompson.
Martin M. Goldsmith, Détour (Detour, 1939), Rivages/Noir, 2018. Traduit par Simon Baril. 258 p.