Les ombres de Montelupo, de Valerio Varesi

Publié le par Yan

« Dans le brouillard, on peut tout faire, il permet tout. » Cela sonne comme une évidence et même comme un lieu commun. Pourtant, dans Les Ombres de Montelupo, Valerio Varesi donne à ce brouillard une rare épaisseur qui lui permet de dépasser le cliché.

Le Montelupo dans sa gangue de brume surplombe le village natal du commissaire Soneri venu ici prendre quelques vacances pour ramasser des champignons et, aussi, pour tenter de renouer par procuration avec son enfance et par là même avec son père disparu et avec la communauté villageoise à laquelle il se sent ou devrait se sentir appartenir.

S’il n’est pas à proprement parler en effervescence, c’est en tout cas un village agité que trouve Soneri. En effet, Paride Rodolfi, héritier de la charcuterie industrielle qui fait vivre le village n’a pas disparu. C’est en tout cas ce que disent des affiches placardées dans les rues. Et si on l’affirme avec tant de force, c’est sans doute que quelque chose a dû se passer. Puis, c’est au tour de Palmiro, le patriarche Rodolfi, de s’évaporer. Et, dans les brumes du Montelupo qui surplombe cette vallée alpine, des coups de feu intempestifs ne cessent de résonner… Bien décidé à rester en dehors de tout ça et à trouver des cèpes, Soneri ne pourra cependant pas échapper à ce qui semble se tramer ici. D’autant plus que son père a eu des liens avec Rodolfi et avec le Maquisard qui hante la montagne et apparaît vite comme le premier suspect en lien avec les disparitions.

Comme dans La pension de la via Saffi, Valerio Varesi mêle ici le passé de son héros aux événements qui viennent perturber le fonctionnement qu’il imaginait immuable d’un lieu auquel sa propre histoire est étroitement liée. Et, toujours comme dans ses romans précédents, son histoire personnelle s’entremêle à l’histoire italienne contemporaine et aux lignes de fractures qui en sont issues et traversent la société. Pour autant, les romans de Varesi ne sont jamais totalement tournés vers le passé et la présence – souvent fantomatique – des étrangers qui traversent la clandestinement la montagne ouvrant la porte à tous les fantasmes n’est pas ici sans rappeler celle des commerçants arabes de la via Saffi ; comme eux, ils permettent d’évoquer sans lourde insistance le tableau d’une Italie et, plus largement, d’une Europe où les préjugés ont la vie dure et où, si la sensation d’insécurité peut venir de ce que l’on ne connaît pas, c’est ici de ceux que l’on connaît  ou que l’on croit connaitre bien que vient le problème. Car ce sont bien les Rodolfi qui, par leur emprise sur le village, imposent cette chape de plomb à laquelle font écho les brouillards automnaux qui descendent du Montelupo

Porté par la mélancolie d’un Soneri partagé entre la recherche des sensations de l’enfance, du souvenir de son père et la prise de conscience du fait qu’il ne fait plus partie de la communauté qu’il pensait être la sienne, Les Ombres de Montelupo, comme les précédents romans publiés en France de Valerio Varesi, est un livre extrêmement fin qui jouent autant sur les ambiances et les sensations que sur une intrigue à tiroirs qui prend peu à peu toute sa cohérence pour proposer in fine une réflexion intelligente sur le poids du passé et des mythes que l’on a pu construire, la difficulté parfois à appréhender l’avenir et la crainte de ce qui est différent qui fait parfois oublier que souvent, le ver est dans le fruit et pas ailleurs.

Valerio Varesi, Les Ombres de Montelupo (Le Ombre di Montelupo, 2005), Agullo, 2018. Traduit par Sarah Amrani. 311 p.

Du même auteur sur ce blog : Le fleuve des brumes ; La pension de la via Saffi ;

Publié dans Noir italien

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