La soie et le fusil, de Gioacchino Criaco

Publié le par Yan

En un temps ancien, une fertile vallée de l’Aspromonte subit un orage diluvien qui lessive le sol et emporte dans le fleuve la riche terre que se disputent depuis des siècles les Therrime venus d’Albanie pour servir le roi d’Aragon et les Dominici installés là depuis des temps immémoriaux. Les deux clans ont quitté leurs villages respectifs de Coraci et Ascruthia, qui se faisaient face d’une berge à l’autre du fleuve Allaro pour descendre ce dernier jusqu’à son embouchure, là où il a fini pas déverser la terre grasse de leur vallée. Arrivés là, ils durent tous accepter de se mêler et de se mettre au service des maîtres des lieux. Pourtant, plusieurs générations plus tard, même si les vieilles histoires sont encore vives, Julien Dominici et Agnese Therrime tombent amoureux à l’adolescence après que leurs familles respectives sont revenues s’installer en Calabre après avoir tenté de vivre ailleurs, dans le nord de l’Italie ou en France. La soie du titre, c’est celle des vieilles tisseuses du village qui couvrent cette idylle. Le fusil, s’est celui qui vient s’interposer par le truchement de la reprise d’une guerre de clans qui va décimer les deux familles et faire de Julien un tueur.

Plus de vingt ans après, Julien sort de prison, prêt à retrouver Agnese. Mais c’est sans compter sur le frère jumeau de celle-ci, Alberto, impliqué dans un trafic de drogue en lien avec une triade chinoise.

Tout cela peut sembler banal, bien entendu, voire même paraître pour un digest de clichés, d’une resucée de Roméo et Juliette à un remake littéraire de John Woo. Pourtant, Gioacchino Criaco réussit malgré tout à livrer avec La soie et le fusil un roman bien plus subtil que ce que peut laisser penser son résumé.

Outre une belle histoire d’amour, il livre ici une intéressante réflexion non pas sur la violence elle-même, mais sur les mécanismes de domination et de résistance à cette domination qui se mettent en place dans des communautés qui, pour paraître figées dans des croyances et des pratiques antédiluviennes, n’en sont pas moins totalement connectées à la société mondialisée contemporaine. Le parallèle entre triades et N’drangheta qui se fait grâce à la rencontre de Julien et Tin, le Mandchou, est particulièrement bien trouvé et montre s’il en était besoin la façon dont ces mécanismes sont en fait moins attachés à une terre ou à un peuple, qu’au besoin simplement humain de dominer d’un côté, de s’émanciper de la domination de l’autre.

Si l’on pourra peut-être regretter parfois des envolées lyriques qui peuvent frôler l’emphase, il n’en demeure pas moins que La soie et le fusil est un roman au charme indéniable et d’une belle intelligence. On pourra par ailleurs, pour ceux que cela intéresse, le comparer à ceux de Mimmo Gangemi afin de compléter le tableau qui est fait de la société calabraise et de l’emprise qu’ont sur elle les clans.

Gioacchino Criaco, La soie et le fusil (Il saltozoppo, 2015), Métailié Noir, 2018. Traduit par Serge Quadruppani. 206 p.

 

Publié dans Noir italien

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F
bon commentaire ; mais des longueurs quand même dans les descriptifs.
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