L’ange gardien, de Jérôme Leroy
Trois ans après Le Bloc, Jérôme Leroy propose un nouveau thriller politique situé dans une France en passe de basculer à l’extrême-droite.
On est là quelques années ou quelques mois avant les événements contés dans Le Bloc. Berthet, tueur à la solde de l’Unité, organisation occulte, sorte d’État dans l’État, est entré en disgrâce. On veut le tuer. Peut-être parce qu’il en sait trop, sûrement parce que son obsession pour la jeune Kardiatou Diop, ministre médiatique et icône de la diversité, qu’il protège secrètement depuis des années fait de lui un obstacle pour les futurs plans de l’Unité. De son côté, Martin Joubert, ancien prof de lettres devenu écrivain, dépressif, désargenté, homme aux convictions de gauche pigeant pour un journal en ligne penchant à l’extrême-droite va être amené à croiser le chemin de Berthet et de son ancienne élève, Kardiatou Diop.
Le Bloc, à travers une nuit aux côtés d’un intellectuel d’extrême-droite chargé d’éliminer un allié devenu gênant alors que son parti voit s’ouvrir les portes du pouvoir, plongeait de manière assez vertigineuse le lecteur au cœur des réflexions du narrateur et de l’histoire de l’ascension d’un Bloc avatar littéraire bien reconnaissable du Front National.
Avec L’ange gardien, Jérôme Leroy prend une autre route. Le roman de politique-fiction à clefs laisse la place au thriller dystopique mâtiné d’histoire d’amour tourmentée et de réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans la société.
La dystopie, ici, c’est bien entendu cette Unité qui manipule l’État en sous-main. C’est ce ver depuis longtemps dans le fruit, les barbouzes et, de plus en plus, le monde de l’argent, le capitalisme décomplexé, qui métastase et infecte peu à peu tous les échelons d’un État devenu fantoche à son corps peut-être pas si défendant que ça. Berthet, tueur froid et appliqué, excellent travailleur qui ne pose pas de questions, incarne le pouvoir de l’Unité. Jusqu’au jour où ses marottes et en particulier son attirance ambigüe pour Kardiatou Dop le transforment en problème. C’est cette partie qui ouvre le roman et lui donne l’impulsion nécessaire pour agripper le lecteur. Super-tueur surentrainé qui se retourne contre ceux qui l’ont fait et veulent maintenant se débarrasser de lui, Berthet est un excellent personnage de roman d’action quand bien même ce personnage a déjà été vu et revu dans une multitude de romans.
L’histoire d’amour, cet amour que porte Berthet à une Kardiatou Diop qui ignore même son existence, participe aussi de ce mécanisme qui pousse le lecteur à tourner les pages. Car, évidemment, curieux, on veut savoir ce qui motive l’intérêt de Berthet pour la jeune femme. Jérôme Leroy, habile écrivain, pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses pendant la plus grande partie de son roman et laisse ainsi planer le mystère.
La partie consacrée à Martin Joubert, l’écrivain aux anciennes convictions de gauche, centrale dans le roman, est intéressante mais sans doute un peu plus faible que les autres et ce n’est sans doute pas pour rien que Jérôme Leroy y fait assez rapidement intervenir Berthet qui relance un peu la machine. Si l’on ne connaît pas la vie intime de Jérôme Leroy, il est cependant difficile de ne pas voir dans Joubert une espèce de double de l’auteur lui aussi quinquagénaire, lui aussi ancien professeur de lettres, lui aussi engagé à gauche et qui participe par ailleurs à une publication, Causeur, dont la question de savoir si elle n’est pas un relai de l’extrême-droite agite régulièrement les médias. Du coup, en poussant le lecteur à trop chercher des clefs dans ce récit d’un Joubert nombriliste et agaçant (que l’on pourrait considérer d’ailleurs comme un exercice masochiste de l’auteur), Leroy tend parfois à alourdir son histoire.
Sur le fond, donc, L’ange gardien révèle finalement une trame ultra-classique avec super-tueur retrouvant la lumière et tentant de faire échouer les plans de ceux qu’il a servi pendant des décennies. Le tout jalonné de références assez transparentes à la récente actualité politico-médiatique. On reconnaîtra sans peine les références à Soral, au pamphlet d’extrême-droite La France orange mécanique et plus généralement aux collusions entre médias, politiques et lobbies économiques. Mais là où, en s’insinuant dans la tête d’un extrémiste de droite dans Le Bloc, Leroy arrivait paradoxalement à prendre de la distance, il offre, en mettant en avant Joubert ou même ce Berthet quasi-repenti, une espèce de prêt-à-penser qui manque bien souvent de finesse.
Sur la forme, le choix de mettre en place trois parties racontées selon trois points de vue différents – Berthet – Joubert – l’amant de Kardiatou Diop – permet de faire peu à peu s’imbriquer des éléments, de révéler des pistes ouvertes dans le récit de Berthet. Mais la coquetterie stylistique consistant à répéter ad nauseam le nom des personnages, amusante au début, devient parfois agaçante.
« Martin Joubert lit vraiment Le Monde en ce moment, même les avis de soutenance de thèse, parce que tout ce qui peut divertir Martin Joubert de Martin Joubert est bienvenu. Martin Joubert ne supporte plus Martin Joubert, il faut dire. Martin Joubert voit très bien ce que Martin Joubert est devenu, ce que Martin Joubert devient et Martin Joubert n’aime pas ça […] »
Cela donne au final un bon roman d’action et une anticipation intéressante bien que convenue, mais qui souffre certainement d’une trop grande accumulation de poncifs, tant du côté des personnages que du message sous-jacent sur la droitisation de la société et de certains milieux intellectuels. Le savoir-faire de Jérôme Leroy et son talent rendent tout cela amusant à lire, mais l’on est loin de la puissance et de l’acuité du Bloc avec lequel la comparaison est inévitable.
Jérôme Leroy, L’ange gardien, Gallimard, Série Noire, 2014.
Du même auteur sur ce blog : Le Bloc ; La Petite Gauloise ; Vivonne ; Les derniers jours des fauves ;