Vivonne, de Jérôme Leroy

Publié le par Yan

Paris, fin des années 2020, un typhon et les inondations dévastatrices qui l’accompagnent bloquent Alexandre Garnier dans les bureaux de sa maison d’édition, Les Grandes Largeurs. En regardant les eaux qui charrient ordures, épaves de voitures et cadavres, en se confrontant aussi aux rats qui envahissent l’immeuble pour échapper au déluge, Garnier pense au passé. Les souvenirs affluent et parmi eux celui d’Adrien Vivonne, le poète qu’il a publié, l’ami d’enfance qu’il a trahi. Dans la France livrée à la « libanisation climatique » et aux diverses milices qui se disputent le territoire, Alexandre Garnier se fait biographe de Vivonne. Pour cela il ne suffit pas de convoquer les souvenirs, il faut essayer de comprendre cet homme étrange qu’une forme de joie permanente a toujours tenu un peu en dehors du monde, et il faut aussi tenter de retrouver sa trace. Car Vivonne a disparu depuis une vingtaine d’années. Pourtant, son œuvre confidentielle, semble réémerger en ces temps troublés et offrir une forme de délivrance.

C’est un drôle de voyage auquel nous invite Jérôme Leroy avec Vivonne. Biographie fictive d’un poète dont l’art touche à une forme de préscience voire de magie. Autobiographie d’un homme qui regarde tardivement en face ses erreurs et tente de naviguer entre sa culpabilité et, dans un monde dans lequel il ne trouve plus sa place, le sentiment d’avoir raté une partie de sa vie pour avoir passé plus de temps à regretter ce qu’elle ne lui donnait pas qu’à profiter de ce qu’elle lui offrait. Roman apocalyptique dans une France, et plus largement une Europe, livrée à la violence des éléments et des hommes. Vivonne est tout cela à la fois. C’est dire si le projet est ambitieux, mais Jérôme Leroy maîtrise parfaitement cet assemblage a priori hétéroclite qu’Adrien Vivonne, insaisissable mais omniprésent, comme une image rémanente, lie avec force. Ce genre d’ambition peut aisément tourner à l’exercice de style mais Jérôme Leroy l’évite avec adresse ou plutôt avec sincérité. Car, au fond, ce que l’on ressent à la lecture du roman c’est aussi un auteur qui se livre. C’est, à travers les souvenirs d’Alexandre Garnier, un monde disparu qui reprend vie avec une émouvante nostalgie mais sans idéalisation. C’est, à travers le parcours de milicienne de Chimène, l’idée que le pire n’est peut-être plus évitable. C’est enfin, à travers la présence de Vivonne l’espoir que tout cela puisse être sauvé par la poésie, la croyance dans le fait que la littérature, si elle ne peut pas forcément changer la vie peut au moins la rendre plus vivable. Bref, il n’est pas nécessaire de se payer de mots, voilà un roman d’une grande beauté.

Jérôme Leroy, Vivonne, La Table Ronde, 2021. 408 p.

Du même auteur sur ce blog : Le Bloc ; L’Ange gardien ; La Petite Gauloise ; Les derniers jours des fauves ;

 

Publié dans Littérature "blanche"

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