Les derniers jours des fauves, de Jérôme Leroy
Qui sont-ils, ces fauves ? Le Capitaine, tueur surentraîné qui se charge de protéger Clio, fille du ministre de l’Environnement, Guillaume Manerville ? Pas Guillaume Manerville en tout cas, qui n’a rien d’un tigre. Caution de gauche du gouvernement de Nathalie Séchard, devenue présidente par surprise, mariée à un homme beaucoup plus jeune qu’elle, et qui a décidé de ne pas briguer un second mandat, Manerville est poussé à être candidat à son corps défendant. Aveuglé par une forme d’idéalisme qui pourrait presque confiner à la naïveté, il doit justement frayer avec des fauves dont il n’est pas. Patrick Bauséant en est bien un, lui qui a sauté sur Kolwezi en 1978. Le ministre de l’Intérieur incarne l’aile droite du gouvernement et il a surtout aidé à porter la présidente au pouvoir. Il aime bien s’entourer de militaires et se dit que si Séchard ne se représente pas, il a peut-être sa chance. Il n’est certainement pas le seul au moment où le pays s’embourbe dans les crises sociales, sanitaires et climatiques : les Gilets jaunes ne désarment pas, les contraintes sanitaires liées à la pandémie ne semblent pas près de se desserrer, et il fait tellement chaud que des incendies embrasent jusqu’aux bois de la région parisienne tandis que des émeutes éclatent dans les banlieues.
Jérôme Leroy, dans ces Derniers jours des fauves, continue de labourer un terrain littéraire qui lui est propre, composé d’un présent qui porte les malheurs à venir et amendé par un passé chargé de moments de bonheur enfuis. On ne peut d’ailleurs s’empêcher si l’on a lu son précédent roman, Vivonne (si ce n’est pas fait, il n’est pas trop tard), d’en voir dans Les derniers jours des fauves une sorte de négatif sur lequel plane d’ailleurs régulièrement son ombre. Là où le cœur de Vivonne résidait dans une histoire intime qui se tressait autour d’une trame de politique fiction uchronique, Les derniers jours des fauves s’articule autour de cette trame noire et politique qui étend peu à peu des racines qui ont à voir avec l’histoire intime d’une partie de ses personnages.
Complots, coups de billard à deux ou trois bandes dans lesquels une boule, parfois, tombe malencontreusement de la table, ambitions dévorantes et cynisme politique sont donc bien au rendez-vous, agrémentés par ailleurs par quelques scènes d’action particulièrement efficaces dans la façon dont elles sont menées en mêlant volontiers à leur description chirurgicale un soupçon d’ironie. Qui de Manerville l’idéaliste, de Bauséant l’intrigant, ou de ceux qui seraient tentés de doubler ce dernier par sa droite tirera son épingle du jeu ? Il y a là un captivant jeu de massacre – au propre comme au figuré – qui ne cesse de surprendre. Et puis, donc, il y a l’intime, qui tourne essentiellement autour de Manerville, de sa fille, Clio, et du mystérieux Capitaine. Il en émane cette douce mélancolie, cette nostalgie d’un monde qui n’est plus ; qui n’était certainement pas plus simple mais dans lequel on pouvait peut-être encore croire à la possibilité d’un futur radieux – et pas seulement en termes de réchauffement climatique.
Pour autant, il ne faut pas voir dans Les derniers jours des fauves un roman désespéré même s’il apparaît parfois bien cruellement lucide. Jérôme Leroy a la faiblesse d’y laisser briller quelques lueurs d’espoir qui tiennent pour beaucoup à l’idée que peut-être certains auront la force de reconstruire quelque chose sur les ruines et que la littérature pourra y tenir un rôle.
Jérôme Leroy, Les derniers jours des fauves, La Manufacture de Livres, 2022. 430 p.
Du même auteur sur ce blog : Le Bloc ; L’Ange gardien ; La Petite Gauloise ; Vivonne ;