Une terre si froide, Adrian McKinty
Absent depuis quelques années en France, son dernier roman traduit en français, Retour de flammes, qui clôturait la trilogie consacrée à Michael Forsythe, ayant paru en 2009, Adrian McKinty revient à la fois dans notre paysage éditorial et chez lui, à Belfast. Car ce qui jusqu’alors était la marque de fabrique de McKinty, en ce qui concerne les romans parus ici en tout cas (une trilogie – The Lighthouse trilogy – et plusieurs « one shots » n’ayant pas eu les honneurs de la traduction française), consistait à exiler ses personnages hors d’Irlande. Michael Forsythe partait pour New York puis Boston, le Mexique et le Pérou tandis que dans Le fleuve caché Alex Lawson émigrait dans le Colorado. Des personnages qui, en fin de compte, suivaient plus ou moins l’itinéraire de l’auteur, natif de Belfast, étudiant à Oxford, émigré à New York, puis enseignant à Denver avant de s’installer à Melbourne.
Retour donc du côté de l’Irlande du Nord, près de Belfast, à Carrickfergus, et retour en 1981, au lendemain de la mort de Bobby Sands, terrassé par sa grève de la fin et l’intransigeance du gouvernement de Margaret Thatcher. C’est dans ce contexte tendu que Sean Duffy, qui a le défaut d’être un membre catholique du RUC, la police d’Irlande du Nord quasi-exclusivement protestante, se trouve confronté à un double meurtre d’homosexuels. Une affaire qui est loin d’intéresser une opinion publique et une presse concentrées sur les émeutes qui suivent les inexorables décès des grévistes de la faim de l’IRA, mais qui, pour Duffy, pourrait marquer les débuts d’un tueur en série n’ayant trouvé à se faire employer ni par les milices protestantes ni par les nationaliste catholiques : « On se retrouve quand même en page trois avec le titre « Double meurtre d’homosexuels : le RUC enquête » et , juste en-dessous, une belle photo de McCallister.
-Ils auraient pu nous consacrer un peu plus de place, se plaint Brennan. Je veux dire, pour une fois qu’on a un vrai crime, un crime normal, non sectaire. C’est quand même inhabituel pour la région. »
Sauf que, bien entendu, dans ce contexte et dans ce pays, rien n’est aussi simple et Sean Duffy va devoir naviguer dangereusement d’un bord à l’autre, du côté de chez les combattants catholiques, comme de celui des unionistes.
À travers un intrigue retorse, certes, mais pas forcément très originale (les amateurs de noir irlandais ont sans doute pu lire ici ou là une intrigue peu ou prou similaire, dans Le tueur aux psaumes, de Chris Petit, par exemple) Adrian McKinty dépeint surtout l’Irlande du Nord de ce début des années 1980 ; ses tensions qui atteignent alors un point d’orgue, mais aussi une société encore figée et rétrograde où l’avortement et l’homosexualité sont des crimes mais où le racket, le tabassage en règle d’un voisin où le meurtre font partie d’un quotidien accepté ; acceptation qui apparaît clairement dans cette scène décalée où le marchand de journaux demande à Sean non pas d’empêcher les miliciens protestants du quartier de le racketter, mais plutôt de leur demander de se montrer plus raisonnables sur les sommes qu’ils exigent de lui.
Une autre constante, chez McKinty, c’est l’aisance avec laquelle il instille dans des situations d’une profonde noirceur, un humour à froid tantôt ravageur, tantôt bon enfant qui allège un peu l’effet plombant d’une histoire âpre tout en montrant, en contrepoint à ces réflexions ironiques ou cyniques de son personnage principal, la rigidité et l’absence totale d’humour des intégristes auxquels il se trouve confronté.
Tout cela nous offre au final un roman à la fois plaisant et instructif. Même s’il apparaît surtout comme la mise en place d’un personnage complexe, faillible, amené à être le héros d’une nouvelle trilogie annoncée, il se révèle efficace et de fort bonne facture.
« Je raccroche. C’est là qu’une moustache à la Serpico aurait été bien pratique. J’aurais pu réfléchir en me regardant dans la glace de l’entrée tout en caressant mon appendice pileux. »
Adrian McKinty, Une terre si froide (The Cold Cold Ground, 2012), Stock, Cosmopolite Noire, 2013. Traduit par Florence Vuarnesson.
Du même auteur sur ce blog : Le fleuve caché ; Dans la rue j'entends les sirènes ; Retour de flammes ; La Chaîne ; Ne me cherche pas demain ; Ne me cherche pas demain ; Des promesses sous les balles ;
La fiche bibliométrique d'Adrian McKinty est ICI.