Steeltown, de James Grady

Publié le par Yan

steeltown« Ce désastre, là-bas ? (Borge désigna le fleuve.) Ce désastre en ville ? Ce n’est ni la compétition étrangère ni le mauvais sort qui en sont responsables, mais nous-mêmes. Ce qui semblait parfait pendant si longtemps ne s’est pas révélé supérieur à ce que nous avions mis dedans. »

Sa mine et ses fonderies ont longtemps fait de Steeltown un des fleurons de l’industrie américaine. Une réussite de l’american way of life qui s’accommodait sans problème des à-côtés peu reluisants que supposait cette insolente prospérité, à commencer par l’implantation de la pègre et la corruption des autorités et des syndicats. Mais Steeltown n’a pas résisté à mondialisation économique et à la concurrence étrangère et son cadavre grouille de vautours : le maire, le chef de la police et un caïd local se disputent sa dépouille. Au-dessus de la mêlé, Elliot Kimmet, capitaine d’industrie enrichi au moment de l’apogée de la ville, entend bien remettre la main dessus et fait appel à une agence pour y arriver. C’est le mystérieux Jack Cain qui est envoyé pour aider Kimmet dans son projet de reconquête. Mais Cain semble avoir d’autres comptes à régler.

Steeltown est l’un des rares romans noirs de James Grady traduit en France où, d’évidence on préfère ses romans d’espionnage. Il faut dire que l’auteur ne joue pas forcément ici la carte de l’originalité en prenant pour point de départ qui n’est pas sans rappeler La moisson rouge de Dashiell Hammet à laquelle il rend d’évidence un hommage appuyé : un ville corrompue dont le nom est tourné en dérision par une population sans illusions (Personville/Poisonville pour Hammet, Steeltown/Stealtown pour Grady), un meurtre qui met le feu aux poudres, un industriel tout puissant qui veut récupérer une cité qu’il considère comme son bien et un détective aux motivations ambigües. On remarque par ailleurs que si quelques indices comme la lancinante question des investisseurs japonais ou les journalistes de télévision nous montrent que l’on se trouve dans les années 1980, Grady joue à créer une ambiance qui évoque résolument les années 1930.

Sous ce vernis transparaît toutefois aussi le Grady auteur de romans d’espionnages et adepte des jeux de manipulation qui crée une intrigue extrêmement complexe où chaque personnage cache bien des choses et est autant manipulateur que manipulé.

Pour le coup, James Grady réussit donc à immerger le lecteur dans une atmosphère sombre et pesante tout en le tirant dans le labyrinthe des alliances et des motivations tour à tour complémentaires et antagonistes de ses personnages ; au risque cependant de l’égarer régulièrement tant les revirements se succèdent et les plans de Cain sont parfois abscons (et peut-être d’ailleurs la traduction n’est-elle pas pour rien dans cet hermétisme ponctuel du texte). Malgré cela et des histoires d’amour qui, comme régulièrement chez lui apparaissent un peu artificielles, Grady réussit un plutôt bel hommage au roman noir en même temps qu’une charge intéressante sur le cynisme avec lequel les administrations des années Reagan-Bush Sr ont géré la désindustrialisation au profit de leurs amis industriels et avec la complicité plus ou moins active de dirigeants syndicaux aussi corrompus qu’eux. Tout cela jusqu’à une explosion finale dont l’aspect cathartique ne dissimule pas l’échec auquel sont voués ceux qui voudraient changer les choses en utilisant les mêmes armes que ceux qu’ils combattent.

James Grady, Steeltown (Steeltown, 1988), J’ai lu, 1992. Rééd. Rivages/Noir, 2000. Traduit par Bernadette Emerich.

Du même auteur sur ce blog : Les six jours du Condor ; L'ombre du Condor ; Le fleuve des ténèbres ; Tonnerre ; Comme une flamme blanche ; La ville des ombres ; Mad Dogs ; Les derniers jours du Condor ;

Publié dans Noir américain

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D
un monument ce livre, tu me refais vivre dans le passé ^^
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Y
<br /> <br /> Tu m'en vois ravi.<br /> <br /> <br /> <br />
H
Très bonne critique. De Grady je n'ai rien lu même si je connais, au moins l'adaptation cinématographique des 6 jours du condor. Steeltown m'attirerait bien volontiers pour son aspect ouvrier et<br /> syndicaliste. Est-ce que c'est aspect du livre qui ressort bien ?
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Y
<br /> <br /> Les ouvriers sont surtout en arrière-plan et le dirigeant du syndicat n'apparait vraiment qu'à deux reprises. L'intrigue se concentre sur Cain, le détective, et sur le jeu trouble qu'il joue avec<br /> Kimmet, le maire, le chef de la police et le chef de la pègre locale. Si vous voulez un livre avec des ouvriers et des syndicalistes, je vous conseille plutôt de voir du côté du Ventre de<br /> New-York, de Thomas Kelly, un monument du genre.<br /> <br /> <br /> <br />