Tonnerre, de James Grady
Un gratte-ciel new-yorkais explose le jour de son inauguration. Quelques semaines plus tard, Frank Mathews, agent de la CIA chargé des relations avec le Congrès meurt en se rendant à son travail avec son collègue, John Lang. Si la thèse d’une balle perdue semble arranger tout le monde, ce n’est pas le cas de Lang, qui cherche à faire la lumière sur la mort de son coéquipier. Ce faisant, il agite dangereusement les eaux du marigot dans lequel baignent les agences d’espionnage, au risque de devenir à son tour une cible.
Après un retour au roman d’espionnage avec l’ambitieux Fleuve des ténèbres, en 1991, Grady retrouve de nouveau le genre qui a fait sa renommée avec Tonnerre. S’il n’a pas le souffle épique du Fleuve des ténèbres et qu’il se rapproche sans doute plus sur la forme des Six jours du Condor, Tonnerre n’en demeure pas moins un roman intéressant et intelligent.
John Lang, peut en effet être considéré comme une version plus élaborée du Condor Ronald Malcolm. Un peu moins naïf pour avoir mené une carrière active au sein de la CIA, Lang est toutefois devenu un gratte-papier dans un obscur bureau du Congrès, un fonctionnaire plus qu’un espion de haut vol. Et, comme Malcolm, il se trouve pris dans une manipulation qui le dépasse, chien dans un jeu de quille dont la seule alternative et de tenter le strike pour ne pas finir lui-même broyé. Il profite néanmoins de la maturité de son auteur, plus au fait des dessous de Washington que vingt ans auparavant, et du contexte de cette après Guerre Froide déjà évoqué dans Le fleuve des ténèbres. La chute du communisme est en effet passée par là et les agences d’espionnage ont la nécessité de trouver des ennemis crédibles pour justifier de leur existence. Cela ouvre la voie à James Grady pour concocter une intrigue retorse dans laquelle chacun des personnages autour de Lang représente un ennemi potentiel.
Entre 1974 (Les six jours du Condor) et 1994, l’Amérique a définitivement perdu son innocence et les méchants sont autant dehors que dedans. Et s’ils n’ont pas tous les mêmes objectifs, ils se révèlent également dangereux. Dans un monde où chacun à son propre niveau essaie de tirer son épingle du jeu (Grady propose des scènes édifiantes mettant en scène des sénateurs) John Lang gêne autant les coupables que les innocents et ne peut que se lancer dans la fuite en avant. Seul personnage honnête de ce jeu de dupe, bien que n’étant pas pour autant complètement blanc, il se révèle tour à tour fascinant et agaçant, signe certainement que Grady l’a bien construit, avec complexité.
Cela donne au final un roman d’espionnage réussi en terme d’intrigue et d’ambiance et sans doute un peu moins en ce qui concerne les scènes d’action, trop détaillées, et, comme on a déjà pu le relever, les histoires sentimentales, trop empreintes de naïveté. Sans atteindre le souffle du Fleuve des ténèbres, Tonnerre demeure néanmoins un bon roman de genre complexe, certes, mais surtout divertissant.
James Grady, Tonnerre (Thunder, 1994), Rivages/Thriller, 1995. Rééd. Rivages/Noir, 1996. Traduit par Jean Esch.
Du même auteur sur ce blog : Les six jours du Condor ; L’ombre du Condor ; Le fleuve des ténèbres ; Steeltown ; Comme une flamme blanche ; La ville des ombres ; Mad Dogs ;