La ville des ombres, de James Grady

Publié le par Yan

La ville des ombresEntre 1968 et 1974, Washington est en ébullition. Aux émeutes raciales succèdent les manifestations contre la guerre du Vietnam, les menaces d’attentat du Weather Underground et l’accession au pouvoir d’un Richard Nixon corrompu et entouré d’hommes à l’avenant et avides de pouvoir comme Spiro Agnew ou Henry Kissinger. Il arrive aussi que des femmes disparaissent. C’est en en recherchant une que le jeune policier John Quinn, infiltré dans les milieux contestataires, va tirer le premier fil d’un réseau labyrinthique mêlant les intérêts de la pègre locale, des autorités policières et des politiques corrompus.

Parallèlement, Nathan Holloway, officier de la Navy de retour du Vietnam est chargé d’espionner la Maison Blanche pour le compte de ses supérieurs tandis que le jeune Vaughn Conner, collaborateur d’un sénateur blanchi sous le harnais, grisé par le tourbillon du Watergate, met lui aussi les pieds dans le marigot criminalo-politique washingtonien.

Trois hommes qui, malgré des parcours qui pourraient les opposer, ont en commun un certain idéal de la justice et de la politique et qui seront entraînés dans un scandale qui les dépasse et risque de les broyer.

La ville des ombres est en quelque sorte la synthèse parfaite des deux précédents meilleurs romans de James Grady : Le fleuve des ténèbres et Comme une flamme blanche. Outre des personnages qui se font écho (Quinn et Vaughn qui évoquent pour partie le Dalton Cole de Comme une flamme blanche, Holloway qui rappelle à la fois le John Lang de Tonnerre et le Jud Stuart du Fleuve des ténèbres – alors que l’on croise d’ailleurs un autre Jud à la ressemblance troublante avec le premier), on retrouve là les thèmes chers à Grady : le scandale du Watergate et la corruption et la collusion des milieux politiques et du renseignement, omniprésents dans son œuvre ; la force des idéaux de héros qui, pour être purs, n’en portent pas moins une part d’ombre qui les amènent à flirter avec les limites pour finalement les dépasser quitte à y laisser des plumes ou la vie.

Certainement roman de la maturité pour son auteur, La ville des ombres se débarrasse des gros traits qui rendaient encore certaines facettes de ses livres précédents un peu trop artificielles pour se concentrer sur l’essence des personnages et leur implication dans l’Histoire. Cela donne un roman foisonnant, complexe – peut-être un peu trop parfois pour qui n’aurait pas un minimum de connaissances sur le scandale du Watergate et la situation politique des États-Unis à cette époque – mais intelligemment construit de manière à ne jamais égarer le lecteur dans les méandres de cette intrigue criminelle et politique en grand format.

Ayant vécu de près, à Washington, les événements qu’il relate mais ayant gagné, le temps faisant son œuvre, du recul vis-à-vis d’eux, James Grady, après avoir longtemps tourné autour, a finalement rencontré son sujet. Idéologiquement placé à l’opposé de James Ellroy, il aborde à sa manière, moins cynique mais sans naïveté, cette part d’ombre de l’histoire américaine pour en faire un beau roman sur l’état versatile de la vérité et la minceur de la frontière entre l’engagement pour ses idéaux et la recherche du martyre.

James Grady, La ville des ombres (City of Shadows, 2000). Rivages/Thriller, 2002. Rééd. Rivages/Noir, 2005. Traduit par Jean Esch.

Du même auteur sur ce blog : Les six jours du Condor ; L’ombre du Condor ; Le fleuve des ténèbres ; Steeltown ; Tonnerre ; Comme une flamme blanche ; Mad Dogs ; Les derniers jours du Condor ;

Publié dans Noir américain

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