La peur des bêtes, d’Enrique Serna

Publié le par Yan

lapeurdesbetes.jpgEvaristo Reyes aurait voulu devenir écrivain. C’est pour trouver de la matière à ses futurs écrits qu’il est entré dans la police judiciaire où il se morfond dorénavant sous les ordres du commissaire Maytorena, adepte des survêtements aux couleurs criardes, des travestis et, accessoirement, vendu aux narcotrafiquants.

Chargé par son chef de trouver l’adresse de Pedro Lima, un journaliste qui a insulté le président dans un article, Evaristo, emporté par un élan de solidarité confraternelle envers un autre écrivain, dit à Lima de quitter Mexico au plus vite. Mais, le lendemain, Lima est retrouvé mort et Evaristo se trouve être le principal suspect. Relégué depuis des années dans un bureau avec une bouteille de whisky, il doit prendre le mors aux dents pour se disculper et trouver le véritable meurtrier. Une enquête dans laquelle il va faire preuve d’une opiniâtreté qu’il ne soupçonnait pas lui-même et qui va le faire aller de désillusion en désillusion.

« Ainsi était le Mexique, un pays où la moindre bonne action est punie avec toute la rigueur de la loi ».

Comme c’est souvent le cas dans le roman noir mexicain, le héros se trouve donc confronté à la corruption de l’appareil politico-judiciaire de son pays. Une corruption généralisée mais dont chacun finit par s’accoutumer, à tout le moins jusqu’au moment où l’on se trouve sur le point d’être broyer par la logique impitoyable de ce système. Décidé à sauver sa peau, rattrapé par sa conscience et par ses idéaux de jeunesse, Evaristo Reyes part donc seul à l’assaut de cette forteresse baroque.

Et pour cela, il compte bien s’appuyer sur ceux qu’il estime être ses semblables : l’intelligentsia mexicaine éprise de démocratie au sein de laquelle il enquête pour mettre la main sur le véritable assassin de Pedro Lima.

Mais la désillusion est à la mesure des espoirs qu’Evaristo a fondés sur l’élite littéraire de son pays qui, bien vite, se révèle être un calque du reste de cette société corrompue de laquelle il voudrait s’extraire.

Mêlant habilement gravité et humour, Enrique Serna, dans La peur des bêtes, dresse un portrait à la fois cruel et tendre de la société mexicaine. Une société dont les élites, qu’elles soient politiques ou culturelles, œuvrent avant tout pour elles-mêmes mais dans laquelle le peuple n’est peut-être pas aussi résigné qu’il y paraît et entend bien accéder un jour ou l’autre à plus de transparence et de démocratie.  S’il semble seul contre tous, Evaristo a pour lui toute une tradition de révolte populaire à laquelle Serna fait régulièrement référence. Confronté à ses propres contradictions, il décide finalement de lutter pour faire éclater la vérité dans un système qui n’en a que faire mais qui le lui fera sans doute payer.

Cruel, désenchanté souvent, ce roman d’Enrique Serna n’en est pas moins porteur d’espoir et d’un humour salutaire.

Merci à Albane pour le conseil de lecture.

Enrique Serna, La peur des bêtes (El Miedo a los animales, 1995), Phébus, 2006. Rééd. Points Roman noir, 2007. Traduit parFrançois Gaudry.

Publié dans Noir latino-américain

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