Je ne quitterai pas ce monde en vie, de Steve Earle
« NO MATTER HOW I STRUGGLE OR STRIVE
I’LL NEVER GET OUT OF THIS WORLD ALIVE
Doux Jésus! Cette voix. Cette lamentation tord-boyaux, crève cœur se glissait dans les os comme l’humidité un jour d’hiver. C’était le chant macabre d’un oiseau de mauvais augure annonçant un enfer imminent ».
Accompagné par la présence encombrante du fantôme d’Hank Williams depuis qu’il lui a donné sa dose fatale de morphine sur la route de l’Ohio, Doc a fini par échouer dans South Presa, le barrio de San Antonio. Là, pour financer sa consommation d’héroïne, il soigne les prostituées atteinte de gonhorrée, les coups de couteau et les blessures par balle, et pratique des avortements clandestins.
L’arrivée de Graciela, jeune mexicaine qui manque lui claquer entre les doigts et qui va finir par s’installer avec lui dans sa pension miteuse bouleverse sa vie. Plus encore, après la visite de JFK et Jackie à San Antonio, la veille de la mort du président à Dallas, c’est la vie de tout le quartier qui se trouve transformée par la seule présence de Graciela.
Ce n’est pas un roman noir mais un conte noir qu’a écrit Steve Earle. Une histoire sombre baignée de fantastique qui fait émerger la beauté d’un décor crasseux et sordide. Et au-delà de la présence à la fois inquiétante et amusante d’un Hank Williams qui, même mort et dans l’incapacité de boire, ne faillit pas à sa réputation d’emmerdeur notoire, on sent bien la patte de Earle, le songwriter, tout au long de cette belle complainte.
Comme une belle chanson de country ou de blues, Je ne quitterai pas ce monde en vie, décrit à merveille les tripots, les pipes à cinq dollars, la violence, la misère quotidienne mais aussi la solidarité qui nait entre ces laissés pour compte, et la perspective de trouver un jour un peu de pureté et de bonheur.
C’est un roman qu’on lit autant qu’on l’écoute, une œuvre vraiment originale dont on ne tire finalement qu’un seul regret, celui de ne pas être capable de le lire et de l’apprécier dans sa version originale malgré un travail de traduction qui, de toute évidence à travers ce qu’il laisse passer de l’esprit du livre, est plus qu’honnête. S’il n’est pas dénué de défauts, ou plutôt d’imperfections (quelques passages un peu longs, quelques baisses de rythme), il a pour lui le charme de l’originalité, de ce soupçon d’humour et de légèreté. De sa sincérité aussi.
Steve Earle, Je ne quitterai pas ce monde en vie (I’ll never get out of this world alive, 2011), L’Écailler, 2012. Traduit par François Thomazeau.