Grossir le ciel, de Franck Bouysse
Quelques mois après le Petite Louve de Marie Van Moere dont la Corse était un personnage à part entière, la Manufacture de Livre, avec ce Grossir le ciel de Franck Bouysse, renoue avec une littérature française des grands espaces. En route donc pour les Cévennes, au lieu-dit Les Doges et ses deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres.
C’est là que Gus, malmené par la vie, éduqué dans cette ferme isolée au milieu des montagnes et des bois, partage sa vie avec Mars, son chien. Dans l’autre ferme, Abel, d’une vingtaine d’années son aîné, vit seul. On est en janvier 2007. L’hiver, rude, s’est bien installé et l’abbé Pierre vient de mourir. Allez savoir pourquoi, cette nouvelle perturbe Gus, l’obsède. Et si Abel est ce qui se rapproche le plus d’un ami pour Gus, il commence néanmoins à adopter un comportement étrange ; à se montrer presque menaçant. Comme s’il avait quelque chose à cacher.
Dans ces espaces isolés, dans le silence ouateux d’un hiver neigeux, Franck Bouysse pose tranquillement son histoire. Sous le quotidien anesthésié par la neige, le froid et aussi, un peu, le gros rouge, de Gus et Abel, l’auteur fait lentement mais sûrement pointer la tension puis monter ensuite une certaine angoisse.
On ne peut qu’admirer la dextérité avec laquelle Bouysse arrive à la fois à nous conter les vies heurtées mais somme toute relativement normales voire ennuyeuses de ces paysans taciturnes tout en les ceignant d’une aura mystérieuse. Alors que la méfiance s’instaure peu à peu et que chacun commence à se demander ce que l’autre à derrière la tête, alors que de drôles de personnages commencent à apparaître dans cette contrée que l’on aurait pu finir par croire abandonnée des autres hommes, alors aussi que de vieilles rancœurs que l’isolement n’a fait que cristalliser commencent à déborder, les événements commencent à s’accélérer, à bousculer les habitudes de Gus et, finalement, à le pousser à se livrer à lui-même.
Tout cela est porté par l’écriture élégante, riche mais pourtant jamais lourde de Franck Bouysse qui arrive à merveille à rendre l’âpreté des lieux, des hommes et de leurs sentiments tout en dévoilant pudiquement par petites touches ce qui peut se dissimuler sous les carapaces. C’est là un équilibre entre le fond et la forme qu’il est rare de trouver et qui confère à Grossir le ciel une beauté qu’il n’est pas donné de trouver tous les jours.
Fanck Bouysse, Grossir le ciel, La Manufacture de Livres, 2014.
Du même auteur sur ce blog : Plateau ; Glaise ; Né d'aucune femme ;