Balles d’argent, d’Élmer Mendoza
À Culiacán, capitale de l’État mexicain de Sinaloa, Bruno Canizales, avocat renommé surtout pour ses frasques sexuelles et fils d’un ancien ministre de l’Agriculture candidat putatif à l’élection présidentielle est retrouvé assassiné, une balle d’argent tirée dans la tête. Edgar Mendieta, dit Zurdo, est chargé de cette affaire que tout le monde, de son chef, Briseño, au père de Canizales, voudrait enterrer aussi vite que possible. Mais Mendieta voit dans cette enquête la possibilité de s’investir à corps perdu dans son travail histoire d’oublier un peu son psy, auquel il est accro, tout comme de la belle Goga qui n’en fini pas de lui faire perdre la tête.
Le moins que l’on puisse dire est que Mendoza livre avec Balles d’argent un roman qui, formellement, sort quelque peu des sentiers battus. Véritable maquis dans lequel s’entrelacent personnages (policiers, narcos, journalistes, notables, femmes fatales et quidams), fausses ou vraies pistes et pensées du héros, le roman exprime ce fouillis par le biais de dialogues enchevêtrés dénués de guillemets, tirets ou retour à la ligne qui déstabilisent au départ le lecteur avant qu’il finisse par s’y accoutumer.
Mené au rythme des intuitions et digressions d’un Mendieta harcelé par son chef – le cours du roman est sans cesse interrompu par la sonnerie du portable de l’inspecteur – Balles d’argent fonce à cent à l’heure et un peu dans tous les sens, usant de la dénonciation de la corruption et de la collusion entre dirigeants politiques, policiers et narcotrafiquants avec humour :
« Avant de se rendre à la préfecture, il passa par la colonia Nuevo Culiacán, pour rendre visite à Foreman Castelo, un ancien camarade de classe qui avait commencé par faire carrière dans la guérilla urbaine avant de diriger un groupe de tueurs agissant en toute discrétion dans tout le pays. Il ne s’en sortait pas trop mal. Une nuit, Castelo avait frappé à sa porte pour lui demander de le couvrir : l’un de ses hommes avait tué un major de la police fédérale préventive, puis avait pris la fuite. Il était recherché. Mendieta l’avait protégé et avait annoncé à Briseño que les choses changent selon qu’on les observe sous tel ou tel angle et que la viande argentine est la meilleure du monde. Son chef avait fait jouer ses contacts dans le DF et, pendant trois mois, Castelo lui avait envoyé des paquets de viande qu’il achetait à Sonora. Ces derniers temps, il pestait quand il fallait donner un coup de main à la police, mais il l’avait pourtant fait trois fois de suite. Pour le remercier, Mendieta lui avait remis son dossier volumineux, qui comptait exactement trois cent seize pages. »
Ce rythme rapide et saccadé de l’écriture et de l’histoire est sans conteste ce qui fait à la fois le charme et la faiblesse de ce roman. À vouloir de toute évidence privilégier la forme, Élmer Mendoza finit parfois par se perdre lui-même dans les méandres de son intrigue, à tourner un peu en rond ou parfois même à tirer à la ligne en attendant que cet écheveau qu’il a monté frénétiquement se démêle tout seul.
Cela donne au final une expérience littéraire intéressante mais qui demeure peut-être quelque fois trop superficielle pour être réellement convaincante malgré le talent évident d’un Mendoza qui se plait à jouer avec les codes de la narcoliteratura autant pour les parodier que pour surfer sur la vague de ce genre. Bref, un roman qui se révèle aussi attrayant lorsque l’auteur joue avec les codes et nous entraine aux basques de Mendieta sur les marges de cette société déliquescente qu’agaçant quand il semble ne plus savoir comment retrouver le chemin qui le mènera à la résolution de son intrigue.
Élmer Mendoza, Balles d’argent (Balas de Plata, 2008), Gallimard, Série Noire, 2011. Traduit par Isabelle Gugnon.