Deux petites filles, de Cristina Fallarás

Publié le par Yan

 

deux petites fillesUn peu comme Carlos Zanón dans N'appelle pas à la maison ou, plus encore, dans  Soudain trop tard, Cristina Fallarás plonge ses héros et ses lecteurs dans une Barcelone bien loin des cartes postales. Des bas-fonds du centre de la capitale catalane à ses banlieues sordides, la journaliste et détective Victoria González entend honorer le contrat qui la lie au client anonyme qui l'a engagé afin de retrouver une petite fille portée disparue et dont la sœur a déjà été découverte morte et atrocement mutilée.

On saura d'abord gré à Cristina Fallarás d'avoir évité un gros écueil en nous épargnant les habituelles horribles litanies dans lesquelles se complaisent trop souvent les auteurs de romans mettant en scène serial killers et/ou pédophiles dans des mises en scènes jouant avec le voyeurisme le plus ignoble du lecteur et leur propre fascination un brin suspecte. Car si les deux petites filles du titre pèsent sur chaque ligne du roman, elles apparaissent avant tout comme les aiguillons qui amènent l'héroïne, enceinte de six mois, ancienne droguée, passant ses nerfs sur des animaux domestiques qu'elle tue méthodiquement à s'interroger sur sa propre maternité.

Ce faisant, Fallarás fait traverser à Victoria et à son assistant tous les cercles d'un retour au milieu d'un enfer dont elle pouvait penser avoir réussi à s'extraire au moins un peu. C'est l'occasion de croiser des personnages sinistres, parfois carrément abjects mais aussi souvent très ambigus, et de découvrir une face cachée de la société espagnole qui pour être toujours empreinte de religiosité ne possède pas moins la possibilité de sombrer dans la pire des violences, contre elle-même, mais aussi et surtout contre ses enfants, et dont le fonctionnement s'appuie sur une belle somme d'hypocrisie.

De ce portrait peu flatteur d'une Espagne que la crise ne peut pas toucher car elle a déjà presque tout perdu pour peu qu'elle ait déjà possédé quoi que ce soit, émerge toutefois, donc, Victoria, femme forte, révoltée et enragée qui, avec ses défauts et sa violence qui l'amène aux limites de la folie, offre malgré tout une lueur d'espoir ténue mais bien réelle.

Roman particulièrement sombre, dont le rythme suit l'errance des personnages dans une société en pleine décomposition, Deux petites filles révèle une auteure sur laquelle il faudra indéniablement compter et qui sait camper des personnages et une ville avec singularité et une rare âpreté.

Cristina Fallarás, Deux petites filles (Las niñas perdidas, 2011), Métailié, 2013. Traduit par René Solis.

Publié dans Noir espagnol

Commenter cet article