Soudain trop tard, de Carlos Zanón

Publié le par Yan

soudain-trop-tardDans un quartier populaire de Barcelone, à l’aube, Epi Dalmau fracasse à coups de marteau le crâne de son ami Tanveer. Alors qu’Epi s’enfuit, son frère, Álex, essaie de lui forger un alibi en faisant porter le chapeau à un hypothétique pakistanais, mais aussi de le retrouver alors qu’il est parti rejoindre Tiffany Brisette, son ex-petite amie pour les beaux yeux rehaussés de tatouages de laquelle il a commis ce crime.

Soudain trop tard est le récit de cette folle journée et de la nuit précédent le meurtre de Tanveer. Les allers-retours entre présent et passé, les sauts d’un personnage à l’autre, donnent au récit de Zanón le caractère de l’urgence et plongent le lecteur dans cette suite ininterrompue d’espoirs déçus, de désespoirs comblés et de rendez-vous manqués. Vivant tous les deux dans le souvenir étouffant d’une mère tyrannique, Epi et Álex se montrent incapables de faire attention à eux-mêmes. Alors, lorsqu’Álex, schizophrène sujet à d’intempestives hallucinations mettant en scène un Donald Duck envahissant, cherche à aider son frère qui vient de commettre un acte fou dans l’espoir de retrouver l’amour d’une Tiffany tout aussi déséquilibrée, il y a fort à parier que l’histoire risque de déraper.

« La réalité a dépassé la fiction. Ensuite, c’est la fiction qui a dépassé la réalité et, à partir de là, tout n’est devenu qu’une copie d’une copie dont on a oublié l’original », philosophe Pep, le mosso – le policier catalan – qui patrouille dans le quartier.

De fait, la trajectoire du trio formé par Tanveer, Epi et Tiffany n’apparaît que comme une légère variation, un peu plus violente, de ce que semble vivre au quotidien ou presque le quartier dans lequel se déroule l’action. Et, d’ailleurs, les conversations entre les femmes du quartier où la manière dont Allaoui, le coiffeur, vient prendre part à la course d’Álex après son frère, montrent bien que cette histoire passionnelle et personnelle a eu tôt fait d’échapper à ses protagonistes pour devenir celle du quartier en même temps qu’enflent les rumeurs. C’est l’occasion pour Carlos Zanón de dépeindre, derrière l’histoire, un ghetto d’une ville dont on a sans doute trop tendance à croire qu’elle est un eldorado au sein de l’Espagne ; miroir aux alouettes qui commence à sérieusement se fêler depuis que la crise a touché la péninsule ibérique, mettant à mal la légende dorée du miracle économique catalan. On voit donc en filigrane la misère qui gagne, l’égoïsme, mais aussi parfois la solidarité au quotidien d’un coin de Barcelone où andalous, marocains, africains noirs ou latino-américains battent le pavé, loin des ramblas, du Parc Güell ou du Barri Gotic des cartes postales.

Zanón, par ailleurs, a une belle plume, un style fait de phrases simples mais particulièrement évocatrices et secoué par de véritables fulgurances qui entrainent le lecteur dans le tourbillon de l’histoire qui lui est racontée. Cela fait de Soudain trop tard une tragi-comédie de haute volée, belle, violente, ou tout va à la fois trop vite et trop lentement. Comme la vie.

Et, comme de bien entendu, Christophe Dupuis n'a pas manqué d'interviewer Carlos Zanón. C'est : ICI.

Carlos Zanón, Soudain trop tard (Tarde, mal y nunca, 2009), Asphalte, 2012. Traduit par Adrien Bagarry.

Du même auteur sur ce blog : N'appelle pas à la maison ; J'ai été Johnny Thunders ;

Publié dans Noir espagnol

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C
Si le coeur vous en dit, voici une interview de l'auteur à lire<br /> http://bibliobs.nouvelobs.com/humeurs-noires/20121112.OBS9092/carlos-zanon-je-suis-incroyablement-sexy.html
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Y
<br /> <br /> Thanks, Christophe, je colle le lien en fin d'article. Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
C
D'accord, noté !
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C
à voir... j'ai lu Chamamé et je l'ai trouvé violent... alors un autre à la suite, ça me fait peut-être beaucoup !<br /> bonne journée.
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Y
<br /> <br /> Bonjour. On n'est pas du tout dans le même registre que Chamamé. Ici, plus que physique, la violence est sociale, et c'est surtout à la trajectoire et à la folie des personnages que l'on<br /> s'attache. Au plaisir.<br /> <br /> <br /> <br />