Ce que la mort nous laisse, de Jordi Ledesma

« Nous déciderions de nous pardonner pour ce que nous avions fait ou pas fait. Et sans hésitation, nous laisserions s’altérer les souvenirs dans l’indifférence. »
Un été des années 1990, dans une petite station balnéaire de Catalogne, le narrateur, aujourd’hui adulte, est le témoin d’un enchaînement d’événements sordides qui vont briser des vies, en altérer d’autres et, malgré l’envie d’oublier, sont tout de même encore bien présents vingt ans plus tard. Il y a alors la trop belle Lucía Xerinacs, épouse du Crocodile, un Andalou à la tête de la brigade locale de la Guardia Civil, craint et mouillé dans quelques trafics. Il y a aussi Ignacio Robles, agent immobilier, héritier d’une grande famille locale, personnage superficiel mais subjugué par la beauté de Lucía, Sergi Romeu, autre héritier trop fier de lui, les jumeaux qui trempent dans le trafic qui permet d’alimenter la station en drogues pendant la saison… et un mort. Grande-gueule gravitait autour de la petite bande des jumeaux et du narrateur, et des Colombiens de Tarragone. On a retrouvé son cadavre sur la plage, battu à mort.
Dans l’agitation de l’été, cette petite société se délite, emportée par les remous que provoquent la mort de Grande-gueule et l’obsession de Robles pour Lucía. Au milieu de tout cela, le narrateur, passif, et surtout le Crocodile, personnage a priori monolithique dont la duplicité mais aussi les failles apparaissent peu à peu et laissent présager d’un dénouement dramatique.
Mais au-delà de cette histoire qui traverse son roman et en constitue la colonne vertébrale, Jordi Ledesma excelle avant tout à planter un décor extrêmement vivant et à saisir l’ennui, les envies d’ailleurs qui se heurtent à l’inertie que provoque l’engluement dans la routine d’étés qui se ressemblent tous et dans une communauté tiraillée par les tensions et par les inégalités. Derrière tout cela, ce que décrit Ledesma c’est aussi les ravages d’une industrie touristique de masse qui creuse ces inégalités, la perte de repères et d’une identité qui s’efface derrière des impératifs économiques qui ne profitent qu’à une minorité et lui permettent d’imposer son pouvoir et d’écraser ceux qui sont en bas de l’échelle. Et il a bien entendu cette ambiance partagée entre langueur et malaise, poisseuse… Du pur roman noir.
Jordi Ledesma, Ce que la mort nous laisse (Lo que nos queda de la muerte, 2016), Asphalte, 2019. Traduit par Margot Nguyen Béraud. 195 p.