Comme un blues, d’Aníbal Malvar

Publié le par Yan

Carlos Ovelar dirige une agence de photographie à Madrid. Mais dans une autre vie, sous les ordres de son père, il œuvrait au sein des services secrets espagnols et nageait au milieu des barbouzeries les plus complexes en pleine transition démocratique. Dans autre vie, il a aussi été marié à Susana. En 1996, date du récit, Susana est mère une fille de dix-huit ans, Ania, qu’elle a eu avec Alberto Bastida, éminent avocat galicien. C’est parce qu’Ania a disparu que Bastida, comptant sur les contacts de Carlos au sein de la police et des services, contacte ce dernier pour retrouver sa fille. Il ne va pas falloir longtemps à Carlos pour s’apercevoir qu’Ania trempe dans une sale affaire mettant en scène un ponte du trafic de cocaïne local et des petites frappes aussi bêtes qu’ambitieuses, mais aussi que son propre père, le Vieux, est sorti de sa retraite pour activer ses réseaux locaux sans que Carlos sache pourquoi.

Faux-semblants, complots, héros à la dérive hanté par son passé, tiraillé entre sa haine, son respect et sa peur à l’égard de ceux qui ont fait de lui ce qu’il est devenu… Aníbal Malvar après La Ballade des Misérables et son étonnante narration, semble de prime abord revenir à un roman noir d’une facture bien plus classique. Et, de fait, si l’on s’en tient au déroulement de l’intrigue, l’auteur galicien s’en tient à un fil vu et revu. Mais…

Mais en fait, Malvar possède un bel atout dans sa manche. Il construit une atmosphère particulièrement grise qui tient pour beaucoup aux lieux mêmes où se déroule l’intrigue, une Compostelle noyée sous une pluie violente, sombre, panier de crabes dans lequel il semble impossible d’échapper aux regards inquisiteurs et aux vengeances qui doivent s’exercer. Confronté ici à un passé sur lequel il aurait voulu faire définitivement une croix et à un présent qui ne l’enchante pas plus, Carlos s’enfonce de plus en plus dans la fange et dans son dégoût à l’égard du monde dans lequel il est obligé de vivre.

« Trouver le dénommé Duque m’a tout de même coûté une demi-douzaine de whiskies et une soirée entière dans les quelques troquets que compte la monumentale place Quintana, que Rocío m’avait indiquée comme étant le centre d’opération du susdit. La place Quintana était toujours le refuge d’une bande de soixante-huitards, hippies assommants qui saoulaient le chaland avec leurs guitares mal accordées, leurs flûtes aux harmonies préceltes et leurs laïus aussi creux qu’inoffensifs à propos de shit, de bière ou de leur bon pote parti pécho au Maroc. Quand on observe ces représentants du bien – un bien passé au tamis d’un christianisme athée et quasi illettré –, on comprend pourquoi le mal a les coudées franches, dans ce monde de merde. »

Désabusé, cynique, frayant avec les pires manipulateurs, Carlos Ovelar est pourtant de ces hommes qui veulent croire à la rédemption et à l’existence d’une certaine innocence. Pas étonnant qu’il boive comme un trou. En tout cas, il se révèle être un personnage bien plus attachant qu’on ne peut le penser en débutant la lecture de ce roman dont la noirceur est éclairée de quelques beaux – bien que pas forcément bons – sentiments et un humour grinçant. Une fois encore, Aníbal Malvar réussit à prendre son lecteur à contrepied et à l’entraîner dans un récit férocement humain.

Aníbal Malvar, Comme un blues (Á de mosca, 1998), Asphalte, 2017. Traduit par Hélène Serrano. 279 p.

Du même auteur sur ce blog : La Ballade des Misérables ;

Publié dans Noir espagnol

Commenter cet article

J
Je l'ai lu ce WE, et j'ai un peu de retard à l'allumage sur la rédaction de mon billet, mais je pourrais reprendre le tien mot à mot. une fois de plus.
Répondre
Y
Ah! Ah! J'étais aussi à la bourre. Du coup, je suis content de t'avoir grillé la priorité !