Toutes les vagues de l’océan, de Victor del Árbol

Publié le par Yan

« Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas lutter seule contre toute la méchanceté du monde, que ses efforts n’étaient qu’une goutte dans l’océan. Et tu sais ce qu’elle m’a répondu ? "L’océan, ce n’est jamais qu’un million de gouttes." »

Cette phrase qui donne son titre original au livre de Victor del Árbol – Un millón de gotas – est l’une des quelques lueurs d’espoir qui éclairent un récit d’une rare noirceur qui plonge dans les affres de l’histoire espagnole et, plus largement, européenne. Car le meurtre d’un enfant en 2001 puis celui quelques mois plus tard de l’assassin ne sont en fait, on le découvrira bien vite, que les dommages différés d’une onde qui prend sa source à la veille de la guerre civile espagnole.

Quand Gonzalo Gil apprend la mort de Laura, sa sœur, que la police soupçonne d’avoir tué le meurtrier de son enfant, l’avocat idéaliste se trouve dans l’obligation de soulever le couvercle d’une histoire familiale soigneusement réécrite puis oubliée et qui plonge ses racines dans la violence du siècle précédent. Qui était vraiment Elías, le père de Gonzalo et Laura ? Jeune communiste idéaliste plongé dans l’enfer de Nazino, l’île aux cannibales[1] dont le régime stalinien s’est ingénié à effacer le souvenir, héros de la guerre civile, réfugié républicain parqué dans les camps de concentration érigés par le Front Populaire dans le sud de la France, soldat engagé contre la barbarie nazie en URSS, Elías ne porte-t-il pas aussi en lui un certain nombre de zones d’ombres ?

En remuant le passé, Gonzalo agite le présent. À moins que ce ne soit le présent qui mette à mal un passé reconstruit. Quoi qu’il en soit, ce sont les vies de Gonzalo et de ses proches qui vont être bouleversées par cette brutale remontée à la surface d’une vérité pas assez soigneusement enterrée.

Jouant une fois encore sur la façon dont l’histoire familiale se mêle à la grande Histoire, et surtout sur la manière dont les familles dissimulent les squelettes dans les placards au risque de les voir sortir un jour avec fracas, dont on crée des héros en gommant les aspérités ou en fermant les yeux sur les méfaits qui ne collent pas au mythe, Víctor del Árbol propose une fresque familiale violente et émouvante. Réflexion sur la résilience, et sur les conséquences néfastes de l’oubli volontaire, Toutes les vagues de l’océan est un récit ample et foisonnant, un roman policier dont certains côtés un peu trop tirés par les cheveux (on peine à croire au complot mené par certains personnages, qui paraissent bien trop vicieux pour être vrais, à quelques hasards un peu trop heureux… mais allez savoir) sont compensés par la richesse des personnages, bons ou méchants, toujours extrêmement complexes, agités par la difficulté qu’ils peuvent avoir à conjuguer leurs sentiments, leurs pulsions, et leurs idéaux ou, au contraire leur absence de conscience.   

Plus abouti que La tristesse du samouraï, Toutes les vagues de l’océan, séduit par la richesse de ses personnages et l’ampleur que donne Víctor del Árbol au contexte historique.

Víctor del Árbol, Toutes les vagues de l’océan (Un millón de gotas, 2014), Actes Sud, 2015. Traduit par Claude Bleton. 596 p.

Du même auteur sur ce blog : La tristesse du samouraï ;

 


[1] À ce sujet, on se réfèrera avec profit à l’ouvrage de l’historien Nicolas Werth, L’île aux cannibales, Perrin, coll. Tempus, 2008.

Publié dans Noir espagnol

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F
Merci pour cette chronique qui me donne envie de découvrir cet auteur qui "dort" dans ma PàL depuis un moment ... ;-) <br /> Toujours aussi agréable de te lire !
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Y
Merci! Bonne lecture !