De loin on dirait des mouches, de Kike Ferrari

Publié le par Yan

Machi est une belle ordure. C’est un égocentrique, un parvenu dont l’ascension tient aux relations qu’il a cultivées pendant la dictature, un patron autoritariste, un harceleur, un mari adultère, un père indigne… un vrai sale con. C’est avec surprise que, alors qu’un pneu de sa BMW vient de crever sur l’autoroute, il découvre dans le coffre de sa voiture un cadavre défiguré attaché avec les menottes en fourrure rose qu’il a coutume d’employer lors de ses jeux sexuels extraconjugaux. De toute évidence quelqu’un à placer ce mort ici afin de le faire accuser du meurtre. Mais qui ? Dès que Machi commence à réfléchir, il doit se rendre à l’évidence : la liste est bien longue de ceux qui voudraient le voir tomber.

C’est une excellente idée qu’ont eu les éditions Albin Michel de rééditer ce roman paru initialement en France chez feues les éditions Moisson Rouge en 2012. Kike Ferrari s’y empare d’un motif classique du roman noir – ce cadavre encombrant dont on peine à se débarrasser – et offre ainsi un cynique et réjouissant portrait en creux de la société argentine des années 2000.

C’est qu’en cherchant qui voudrait bien le voir plonger, Machi passe en revue ses méfaits et toutes les rancœurs ou haines qu’il a pu susciter. Maîtresse humiliée, mari trompé, garde du corps ambitieux, employé brimé, et toute sa famille qui le hait avec un bel ensemble… autant de personnes qui ont peut-être vu là l’occasion de le faire choir et de montrer que même en Argentine les salauds ne peuvent pas toujours s’en sortir.

Et en même temps qu’il se pose ces questions, Machi écume la ville à la recherche de moyens pour à la fois dissimuler le cadavre qui pourri dans son coffre et détruire les éléments qui ont été déposés pour le faire accuser. Ce faisant, Machi perd de sa superbe, doit se plier aux règles de la société : il va falloir être poli avec les vendeuses, avec le standardiste de l’assurance, et même se taire et courber l’échine face à deux agents de police qui exigent un pot de vin. Bref, redevenir ce qu’il aurait toujours dû être : rien. Adopter un profil bas. Se remettre en question ? Bien entendu que non. Machi reste Machi, même lorsqu’il est acculé, et c’est aussi ce qui fait que l’on prend un indéniable plaisir à le voir sombrer.

Kike Ferrari, De loin on dirait des mouches (Que de lejos parecen moscas, 2011), Albin Michel, 2019. Traduit par Tania Campos. 227 p.   

Publié dans Noir latino-américain

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