Paria, de Richard Krawiec

Après Dandy et Vulnérables, c’est peu dire que l’on ne s’attendait pas à ce que Richard Krawiec écrive une comédie romantique. Ça tombe bien, il n’en a apparemment pas envie. Avec Paria, Krawiec continue son exploration des marges de la société américaine, de brosser le portrait de ceux qui évoluent là.
Stewart – Stewie – Rome, ancien maire de la petite ville industrielle du Nord-Est des États-Unis dans laquelle il a grandi, est hanté par un horrible fait divers :
« Masha Kucinzki ? Sortez les violons, allumez les bougies, jouez des morceaux ringards – tous les clichés que vous voulez. Mais pendant l’automne 1967, elle a été ma petite amie secrète, le premier et le seul véritable amour de ma vie.
Quant à Emmett Turner, il croyait bêtement que j’étais son meilleur ami blanc. »
Le 14 octobre 1967, en arrivant au lycée, Macha a été sauvagement agressée. Frappée, poignardée, violée. Emmett, lui, avait tout du coupable idéal : déjà accusé d’agression et, surtout, noir.
« Aujourd’hui, je parle pour laisser une blessure. » dit Stewie. Paria est cette blessure toujours à vif des décennies après. C’est le récit de cette année 1967, de cette ville, d’une amitié trahie avec constance, d’un amour déçu, de la manière dont l’Amérique fabrique ses parias, Italiens, Irlandais, Juifs, Portoricains, Polonais… Les uns prennent la place des autres lorsqu’ils montent un échelon dans l’inframonde dans lequel ils vivent tous. Et puis il y a les noirs, parias éternels, et les femmes à qui l’on dénie le droit d’exister en dehors de la place que les hommes veulent bien leur assigner.
Stewie, lui, a monté les échelons. Pour cela, il a aussi marché sur les autres. Narrateur retors, manipulateur, il a grandi dans un monde où dit-il, on ne peut être qu’un prédateur ou une proie. Qui est-il vraiment ? Son récit le laissera peu à peu entrevoir.
Mais surtout Richard Krawiec, une fois encore, raconte les parias. Sans fard mais avec empathie. Et l’histoire d’amour qu’il décrit là est aussi belle que dramatique. C’est celle de deux enfants dont la violence du monde dans lequel ils vivent vient voler l’innocence.
Tout cela fait de Paria un livre d’une profonde noirceur en même temps que d’une grande beauté, sublimé par une écriture à la fois sensible et d’une cruelle précision lorsqu’il s’agit de décrire les lâchetés, les abandons et la manière dont la honte et la haine rongent. Tout ici, des relations de Stewie avec ses parents, Emmet et Masha, à la description de l’institution scolaire et du quartier des nouveaux arrivants, en passant par les compromissions et trahisons du narrateur vient par ailleurs ajouter à une tension constante derrière la beauté formelle de l’ouvrage. On savait que Richard Krawiec était un écrivain hors-normes. Il confirme ici ce que l’on pensait souvent sans l’exprimer clairement : c’est un grand écrivain.
Richard Krawiec, Paria (Pariah), Tusitala, 2020. Traduit par Charles Recoursé. 220 p. Préface d'Herve Le Corre.
Du même auteur sur ce blog : Dandy ; Vulnérables ; Les Paralysés ; Croire en quoi ? ;