Genesis, de Karin Slaughter
Il y avait peu de chances pour que je m’intéresse un jour aux écrits de Karin Slaughter. Parce que, après en avoir beaucoup lu et avoir été souvent déçu, je ne me tourne que rarement vers des thrillers. Parce que, aussi, je n’en avais jamais entendu parler. Jusqu’à ce que je sois contacté par Stéphane Bourgoin qui me demandait si je voudrais bien lire ce livre et parler de son auteur. Une auteure qu’il tient apparemment en grande estime et qui s’est lancée l’an dernier dans un combat en faveur des bibliothèques municipales des États-Unis saignées par la crise financière et souvent situées – allez donc savoir pourquoi – dans des comtés déshérités.
Après avoir converti à sa cause des auteurs comme Dennis Lehane ou Harlan Coben, elle a ainsi pu verser une grosse somme à une bibliothèque de Georgie et entend maintenant en aider une autre à Boston. Elle consacre par ailleurs une grande part de ses droits d’auteurs à cette fondation.
Au moment même où, en France, des auteurs gros vendeurs décident de se lancer dans le sauvetage de la librairie indépendante en prenant soin de garder sur leurs sites des liens incitant les lecteurs à acheter chez Amazon, cette initiative méritait d’être signalée.
Et rien que pour cela, j’aurais voulu dire le plus grand bien de Genesis. Malheureusement, ce ne sera pas forcément le cas. À commencer par un détail agaçant : cette manie qu’ont les éditeurs français à donner à des livres étrangers des titres qui ne veulent rien dire. Le titre original, Undone (défait, ou plutôt ici l’adjectif « défaites » en référence aux héroïnes du livre) était autrement plus parlant. Et moins tape-à-l’œil sans doute aussi. Ceci dit, si l’éditeur voulait exprimer la douleur, il a au moins gagné avec moi, puisque ce titre m’a immédiatement rappelé les horribles scies du rock progressif. J’avais mal aux oreilles avant d’ouvrir le roman.
Mais, justement, ce roman, parlons-en. Près d’Atlanta, un couple renverse une femme paniquée qui a surgi sur la route. Will Trent et Faith Mitchell, agents du GBI (l’équivalent local du FBI) qui la voient par hasard à l’hôpital où ils s’étaient rendus après que Faith eut fait un malaise, s’aperçoivent immédiatement qu’elle a été horriblement mutilée et torturée. Sur les lieux de l’accident, Will trouvera le cadavre d’une autre femme ayant subi le même traitement. Très vite, les deux agents se rendent compte que d’autres femmes disparaissent.
À la recette habituelle du thriller – un tueur sadique et des flics écorchés vifs – Karin Slaughter ajoute néanmoins des ingrédients assez originaux. Les policiers piétinent et semblent parfois plus préoccupés par leurs propres problèmes que par leur affaire et si une partie des flics s’avère être plutôt antipathique, les victimes se révèlent être de véritables harpies. Cela participe sans nul doute du charme de ce roman dans lequel les personnages ne sont pas toujours ce qu’ils paraissent et où, à l’exception sans doute de Will et de Sara, le médecin, qui semblent être les deux seuls vrais innocents (ce qui les rendraient presque niais), chacun porte en lui une plus ou moins importante zone d’ombre.
Karin Slaughter, sur ce plan là, mène donc plutôt bien sa barque, à ceci près qu’à trop vouloir en dire, à trop vouloir montrer au lecteur qui sont ses personnages, elle leur ôte une bonne part de leur humanité. Quasiment jamais le lecteur n’aura à déduire de leur comportement qui ils sont, parce que l’auteur se sent obligée de mâcher ce travail et fini par se montrer d’un didactisme assez pesant, passant au crible chacune de leurs motivations.
Ce défaut vient souvent ralentir le rythme d’une enquête sensée durer quatre jours et dont on a parfois l’impression qu’elle ne cessera jamais. C’est d’autant plus dommage que, sans être particulièrement originale en elle-même, l’intrigue se tient et, comme c’est souvent le cas avec les auteurs américains, le tout est plutôt bien écrit, avec une certaine crudité dans la description des problèmes physiques et psychologiques des héros qui contraste avec la retenue adoptée dans celle des scènes de captivité des femmes enlevées.
À défaut d’emporter le lecteur, Genesis est un roman efficace, qui se laisse lire sans déplaisir et qui sort un peu, par son approche des enquêteurs et des victimes, des sentiers battus et rebattus. Peut-être aussi n’étais-je pas le client idéal et emportera-t-il plus l’adhésion de lecteurs de thriller plus assidus que je ne le suis.
Karin Slaughter, Genesis (Undone), Grasset, 2012. Traduit par François Rosso.