Le serveur de Brick Lane, d’Ajay Chowdhury
Au fil des décennies, la clientèle du Tandoori Knights a changé. À Brick Lane comme ailleurs, la gentrification fait son œuvre. Mais une chose ne change pas dans ce cœur de la communauté indienne : on y accueille encore de nouveaux immigrants. C’est le cas de Kamil, serveur dans le restaurant de Saibal et Maya, amis de son père qui ont accepté de lui offrir ce travail malgré son visa touristique. Un autre ami de la famille, c’est Rakesh, un riche industriel qui après avoir fait fortune dans les travaux publics à Calcutta et venu lui aussi s’installer là. Mais, après sa fête d’anniversaire, Rakesh meurt et il est évident qu’on l’y a un peu aidé. Dans une communauté où on se serre les coudes, on a tôt fait de se tourner vers Kamil, tout simplement parce qu’il a été policier en Inde. C’est d’ailleurs pour fuir le désastre d’une enquête à propos de la mort d’une star de Bollywood qu’il a atterri ici. Ce sera peut-être pour lui un moyen de retrouver sa fierté ou, à tout le moins de compenser un peu son échec précédent.
Meurtre quasiment en chambre close, suspects et même coupables idéaux, déductions et fausses pistes… on pourrait aisément penser qu’il n’y a là rien de bien nouveau sous le soleil. Sauf que sous le très classique roman policier se trouve quelque chose de plus ample. Et cela ne tient pas qu’à l’exotisme que peut bien entendu véhiculer une intrigue qui se développe en deux récits amenés à se rejoindre, l’un à Londres, l’autre à Calcutta. Il y a aussi le fond plus noir qui traite autant de corruption que de la vie quotidienne de l’immigrant tout juste débarqué en Europe. Et tout le décor dans lequel les personnages évoluent et qu’Ajay Chowdhury sait exploiter pour offrir plus de chair à son roman. C’est le quartier qui change, ses nouveaux habitants et ceux qui y sont depuis longtemps et, à leur manière changent aussi. Anjoli, la fille de Saibal et Maya, bien anglaise et bien indienne, en est le produit. C’est la nourriture, omniprésente, les odeurs, les couleurs et les goûts que l’auteur sait faire ressentir au lecteur. Et des personnages complexes tiraillés entre leurs désirs et leurs fidélités – à la famille, à la communauté, à leurs propres principes.
Mené qui plus est avec une agréable pointe d’humour, le récit se déroule de manière limpide. On s’attache à Kamil et à ceux qui l’accueillent, on attend de voir se dévoiler les connexions entre deux enquêtes séparées par plusieurs mois et des milliers de kilomètres... Pour le dire simplement, donc, voilà un polar qui, sans révolutionner le genre, nous offre plus que ce à quoi on pouvait s’attendre, à commencer par un vrai plaisir de lecture.
Ajay Chowdhury, Le serveur de Brick Lane (The Waiter, 2021), Liana Levi, 2021. Traduit par Lise Garond. 303 p.