Un homme dans la brume, de Dorothy B. Hughes
La Seconde Guerre mondiale s’est achevée et, peu à peu, les vétérans sont rentrés au pays. Parmi eux Dickson « Dix » Steele, ancien pilote de chasse. Installé seul dans la maison d’un ami à Beverly Hills, il se prétend aujourd’hui écrivain. En réalité, il écume les rues de la ville et, régulièrement, étrangle de jeunes femmes. Un soir de solitude, il découvre que son ancien compagnon d’armes, Brub, vit près de chez lui. Il le contacte, le retrouve dans sa maison près de la plage. Brub est marié à une femme charmante. Surtout, Brub, depuis sa démobilisation, est devenu inspecteur de police. Il travaille sur l’affaire de l’étrangleur.
Initialement paru en 1947, Un homme dans la brume est un des premiers thrillers psychologiques modernes. Si le récit est à la troisième personne, Dorothy B. Hughes choisit d’enfermer le lecteur dans la tête du tueur. C’est à travers le regard et les pensées intimes de Dix que se dévoile l’histoire. Le voyage n’est pas forcément confortable mais il est indéniablement passionnant. Dorothy B. Hugues gratte petit à petit le vernis de civilité d’un Dix qui révèle progressivement sa monstrueuse nature ou, plutôt, qui la laisse le dominer car, de fait, il y trouve un certain confort. L’arrivée dans sa vie d’une jeune femme dont il tombe amoureux ne fait que ralentir momentanément cette mue. Car dès lors, Dix doit encore plus mentir et dissimuler qui il est vraiment. Autant dire que pour un homme doté d’un tel ego, l’exercice est une torture. On voit donc avec une certaine fascination, le vernis se craqueler et tomber. Avec bien entendu des questions lancinantes : quand son entourage va-t-il s’en apercevoir ? Et que feront-ils ? Ou même, auront-ils le temps de faire quoi que ce soit ?
On ne peut qu’être admiratif de la manière dont Dorothy B. Hughes dresse avec finesse et précision ce portrait de tueur en série sans jamais se laisser aller à un sensationnalisme morbide facile. Ce faisant elle instaure une tension croissante qui devient oppressante sur la fin du récit.
Et puis, derrière tout cela, on divague dans ce Los Angeles des années 1940, sa bonne société très attachée aux apparences… Aussi, Dorothy B. Hughes pose dès le début, à travers une citation de John Millington Synge (« Lorsqu’on est aussi seul, il faut bien parler à quelqu’un, se lancer à la recherche de quelqu’un, une fois la nuit tombée. ») une thématique complémentaire qui est celle de la solitude et de la manière dont peut n’être qu’un ombre dans la grande mégapole californienne. C’est le drame de Dix Steele en même temps que son atout pour se dissimuler dans les ombres et la brume mais aussi, lorsqu’il le faut, en pleine lumière.
Autant dire qu’avec cette nouvelle traduction effectuée par Simon Baril, les éditions Rivages nous offre un écrin de valeur pour découvrir ou redécouvrir ce petit chef-d’œuvre du genre.
Dorothy B. Hughes, Un homme dans la brume (In a Lonely Place, 1947), Rivages/ Noir, 2019. Traduit par Simon Baril. 396 p.