Mon ennemi intérieur, de Marin Ledun
Après La trace du héron, de Pascal Dessaint et Lettre à B., de Patrick Pécherot, les éditions du Petit Ecart font un nouveau pas de côté avec ce petit essai de Marin Ledun.
"Pourquoi écrivez-vous du roman noir ?" demandent-on régulièrement à Marin Ledun. Ça pourrait le fatiguer à la longue (c'est sans doute un peu le cas) et l'inciter à trouver une formule toute faite, définitive, à resservir automatiquement lorsqu'on lui pose la question. Mais en fait, ça le fait surtout cogiter. Parce que oui, après tout, pourquoi écrit-il du roman noir ? Ça semble être une évidence pour lui, mais encore faut-il ensuite placer des mots dessus. C'est ce qu'il cherche à faire avec cet Ennemi intérieur, petit (et beau, ce qui ne gâche rien, grâce à un très beau travail sur le livre, du papier à la couverture) opuscule qui tourne autour de cette interrogation. Pas sûr qu'il agrée totalement à une partie des personnes qui lui ont demandé ça juste parce qu'il leur paraissait saugrenu de ne pas écrire des VRAIS livres, mais il apporte en tout cas de l'eau au moulin de l'éternel débat sur les enjeux de la littérature noire.
Après s'être livré sur son parcours personnel et la manière dont il est venu au roman noir, Marin Ledun fait donc le tour à la fois de ses influences et de cette épineuse question de l'intérêt de la littérature noire. Un tour nécessairement partiel - en 43 pages, on ne s'attend ni à un ouvrage encyclopédique ni à une thèse de littérature ou de sociologie - et certainement partial puisque Marin Ledun ne gâche pas ses engagements ; bien au contraire d'ailleurs, puisqu'il explique à quel point le genre noir semble leur aller comme un gant.
Vrai que si tout colle aussi parfaitement, c'est que Marin Ledun voit justement dans le roman noir tel qu'il le conçoit ce qui a provoqué son adhésion au genre, en tant que lecteur et en tant qu'auteur. Aussi joue-t-il de la distinction entre noir, polar ou thriller, mettant en avant ce qu'il peut apprécier chez les uns ou les autres et aussi, en creux, quelques détestations. Aussi faut-il prendre Mon ennemi intérieur pour ce qu'il est, c'est-à-dire la vision portée sur un genre par un de ses acteurs - et spectateur à la fois - avec ce que cela comporte de partis pris, et surtout pour un essai qui entend moins asséner des vérités que poser un certain nombre de questions, dont celle, cruciale, du divertissement que devrait ou pas offrir la littérature au lecteur.
Voilà un ouvrage intelligent, qui titille le lecteur, l'amène à se poser à son tour certaines questions, à adhérer au propos de l'auteur ou, au contraire à lui donner envie d'en débattre avec lui. Certainement une façon de susciter en fin de compte, lors des rencontres avec les lecteurs, autre chose que la question qui tue.
Marin Ledun, Mon ennemi intérieur, Éditions du Petit Écart, 2018. 43 p.
Du même auteur sur ce blog : Les visages écrasés ; La guerre des vanités ; L’homme qui a vu l’homme ; Au fer rouge ; Ils ont voulu nous civiliser ; Salut à toi, ô mon frère ; En douce ; Leur âme au diable ;