Salut à toi, ô mon frère, de Marin Ledun
Pour son retour à la Série Noire et à Tournon-sur-Rhône, huit ans après La guerre des vanités, Marin Ledun décide de jouer un peu le contrepied. Contrepied, car il prend le parti de s’adonner ouvertement à l’humour à travers l’histoire de cette smala (une smala, c’est un papa, une maman, et six enfants dont trois adoptés et aussi un chien et deux chats, comme dirait Christine Boutin) quasi Malaussénienne. Un peu, parce que, malgré tout, on reste là sur des thématiques de fond qui sont celles des derniers romans de l’auteur, En douce et Ils ont voulu nous civiliser : poids des conventions et difficulté à s’en détacher dans une société extrêmement réglée malgré son apparente ouverture, nécessité d’y résister pour pouvoir se réaliser.
L’histoire donc, c’est celle des Mabille-Pons, contée par Rose, la vingtaine, sortie de khâgne et qui, en attendant de trouver sa voie, lit des livres à haute voix dans un salon de coiffure. Adélaïde, la mère, est une infirmière retorse autant à l’autorité qu’aux contraintes de l’administration, Charles, le père, est un clerc de notaire trop gentil et pas assez issu de la bonne société pour qu’on le laisse obtenir le concours de notaire. Quant aux enfants, ils suivent des parcours différents : Antoine est apprenti-boulanger, Ferdinand prépare une thèse de philosophie, Camille est au collège, Pacôme est agrégé de mathématiques et Gustave, lui, prend son temps. Il a tranquillement attaqué sa sixième année au collège. Bon comme la romaine mais bouc émissaire idéal à cause de son indolence et aussi, il faut bien le dire, du teint basané hérité de ses parents biologiques colombiens, il semble s’être mis dans de beaux draps. C’est du moins ce que laisse à penser une perquisition matinale au domicile familial menée par le lieutenant Personne après le braquage nocturne d’un bureau de tabac dont le patron a été blessé par balle. À Rose et à sa famille, donc, de tenter de prouver l’innocence du petit frère qui a par ailleurs disparu.
On ne s’attardera pas plus sur cette intrigue sans véritables surprises et qui n’est finalement que prétexte au portrait de cette famille atypique et de la manière dont cette originalité, si elle peut faire sa force la dessert aussi dans un monde qui apparaît par trop corseté par les conventions et, surtout, une apparente immuabilité des rapports sociaux : les riches sont là pour le rester et pour diriger, les autres ont plutôt intérêt à accepter l’ordre établi et à ne pas dévier. La plupart, d’ailleurs, l’accepte sans broncher. La déviance, c’est pourtant une espèce de seconde nature chez les Mabille-Pons dont on peut estimer qu’ils l’ont élevé au rang d’art. C’est cela, malgré une situation pour le moins compliquée et qui pourrait même apparaître dramatique, que Marin Ledun transforme en un joyeux bordel. Et de s’en donner à cœur joie dans des scènes échevelées où l’on se lance des sentences définitives, où l’on s’aime et où l’on s’envoie régulièrement paître pour mieux se retrouver. Le tout à grand renfort de références littéraires, musicales ou cinématographiques qui se frayent un chemin dans ce bazar pour ponctuer une scène, apporter un supplément de décalage ou simplement ouvrir la voie à un bon – ou moyen ! – mot. Le monde, finalement, nous dit Marin Ledun, appartient aux jouisseurs et à ceux qui arrivent à parfois le prendre à contre-courant.
Ni brûlot, ni pensum, Salut à toi, ô mon frère, est une série B rafraîchissante, un moment de plaisir simple sans pour autant être bête.
Marin Ledun, Salut à toi, ô mon frère, Gallimard, Série Noire, 2018. 277 p.
Du même auteur sur ce blog : Les visages écrasés ; La guerre des vanités ; L'homme qui a vu l'homme ; Au fer rouge ; En douce ; Ils ont voulu nous civiliser ; Mon ennemi intérieur ; Leur âme au diable ;