La guerre est une ruse, de Frédéric Paulin
Début d’une trilogie annoncé, La guerre est une ruse commence en Algérie en 1992. C’est là qu’officie Tedj Benlazar, agent de la DGSE. Le 26 août, un attentat à l’aéroport d’Alger a fait neuf morts et plus de cent-vingt blessés. Le pouvoir en place a réagi rapidement, exécutant quelques islamistes et dénonçant une éventuelle participation financière d’une puissance étrangère, trop rapidement au goût de Benlazar et de ses supérieurs. C’est que la situation en Algérie, à ce moment-là, est tendue. Le processus électoral a été stoppé par les généraux au pouvoir en janvier 1992 après que le Front Islamiste du Salut a remporté la majorité des suffrages au premier tour des législatives et l’on entre alors dans une décennie de guerre civile.
Suivant les pas de Benlazar, mais aussi de Djamel Zitouni, amené à devenir émir du GIA, de militaires algériens et, en France, de Khaled Kelkal, Frédéric Paulin met en scène un roman noir géopolitique dense, instructif et particulièrement prenant.
Entre une Algérie où les factions au pouvoir ou guignant ce pouvoir s’affrontent, s’entremêlent parfois, jouent des doubles ou triples jeux, et une France qui a constamment un temps de retard, partagée entre la nécessité de préserver ses intérêts économiques et la volonté de ne pas trop dévoiler le fait qu’elle est encore par bien des aspects la puissance coloniale d’antan, bien décidée à jouer son propre jeu, Paulin réussit l’exploit de rendre toute la complexité des enjeux, les multiples manipulations et retournements des différents camps, sans tomber dans le piège du didactisme mais en les rendant compréhensibles tout en donnant à son livre un véritable souffle romanesque.
Il ne faut pas bien longtemps – quelques pages – pour se laisser emporter par le flot. Écrit d’une manière extrêmement efficace, jouant sur un suspense constant, s’appuyant sur des personnages complexes aux motivations souvent très ambigües, La guerre est une ruse se place dans la lignée de ce que Frédéric Paulin a pu faire auparavant avec, par exemple, Le monde est notre patrie, c’est-à-dire une littérature qui donne des pistes pour comprendre les ressorts stratégiques du monde dans lequel nous vivons sans pour autant, et même s’il est indéniable que l’œuvre est engagée, se lancer dans des leçons de morale.
Ainsi voit-on là se qui se noue dans ces années 1992-1995 en Algérie avant de heurter de plein fouet la France, prélude à des décennies de sang dont on peut légitiment penser qu’elles seront au cœur des prochains volumes touchant autant les Balkans, que le Caucase, le Moyen-Orient ou les États-Unis.
C’est donc le début d’une fresque ambitieuse que nous propose Frédéric Paulin avec le souci toutefois de toujours la ramener à hauteur d’homme. Si l’on pourra parfois tiquer sur des situations un peu téléphonées (la relation de Benlazar avec sa famille notamment), ce ne sont là que de menus défauts qui n’enlèvent rien à la grande qualité de l’ensemble de ce roman saisissant dont on attend déjà la suite avec une grande impatience.
Frédéric Paulin, La guerre est une ruse, Agullo, 2018. 384 p.
Du même auteur sur ce blog : Le monde est notre patrie ; Prémices de la chute ; Nul ennemi comme un frère ;